« L’Affaire Kerviel », ce symptôme d’une gangrène, par Zébu

Billet invité.

L’Affaire Kerviel qui rebondit depuis la nuit dernière, avec son lot de ‘révélations’, est-elle comme toutes ces précédentes, dont la plus fameuse, l’Affaire Dreyfus, un symptôme toujours renouvelé d’une gangrène des temps actuels ?

En dehors du fait que Dreyfus clamait son innocence quant Kerviel a toujours affirmé qu’il ne l’était pas – contrairement à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, on retrouve, mutatis mutandis, les mêmes faits saillants.

– Un pouvoir politique qui cherche à protéger ce qu’il estime être un champ de pouvoir essentiel, concourant, pense-t-il, aux intérêts vitaux de la Nation : hier l’armée, aujourd’hui le système bancaire.

– Un ‘lampiste’, dont le profil permettra aisément de cristalliser sur sa personne les tensions sociales et politiques qui ne manqueront pas de s’exacerber.

– Des acteurs d’un système qui sont convaincus hier de l’innocence de Dreyfus, aujourd’hui de la manipulation du dit système, à leur encontre et surtout envers la vérité.

– L’absence d’une remise en cause possible du dit système, politique, judiciaire et dans le cas présent, financier, en clôturant en non-lieu des plaintes émises par les avocats de Kerviel qui concernaient justement ce qui fait l’argumentation centrale de la banque, à savoir ce que tout le monde sait mais que personne ne peut prouver encore : la Société Générale savait.

L’essentiel dans ce rebondissement, médiatique et judiciaire, comme pour l’Affaire Dreyfus, ce n’est pas tant que la SG savait mais surtout de confirmer que l’Affaire Kerviel vient d’entrer dans la dimension des ‘Affaires’ par le fait que la hiérarchie judiciaire du parquet de Paris, cette hiérarchie même dont le cordon ombilical d’avec le pouvoir exécutif n’a pas été tranché, avait partie liée avec une des deux parties dans « l’Affaire », cette partie systémique que le pouvoir politique préféra peut-être sauvegarder en lieu et place d’un individu seul mais incarnant potentiellement la justice.

On y retrouve ainsi les éléments essentiels à ce que peut être une ‘Affaire’ : mélange des pouvoirs (politique, judiciaire, sociétal : hier, l’Armée, aujourd’hui la banque), révélations, experts en tous genres, procès, médias, positionnements tranchés au sein d’une même société, …

Il y manque encore LA preuve, celle qui surgit dans l’Affaire Dreyfus avec le Colonel Picquart, ce ‘petit bleu’, ce faux qui fut fabriqué pour couvrir le véritable coupable que l’armée refusa de livrer à la justice, arguant comme aujourd’hui que ce serait alors l’institution toute entière qui serait mise à bas, ou à tout le moins ébranlée au moment même où le contexte ne le permettait pas selon ses défenseurs : l’Armée, comme socle social au sein de la ‘revanche’ contre l’Allemagne, la banque, comme socle systémique au sein de la crise financière et économique.

S’il y a à chercher l’existence d’une telle preuve, c’est bien du côté des enregistrements des conversations entre Kerviel et la hiérarchie de la Société Générale en janvier 2008 avant sa révélation au grand jour qu’il faudra chercher.

Si ces enregistrements ont bien été coupés, il y aura là un ‘faux’, qu’il sera alors difficile de masquer, comme ce fut le cas pour l’Affaire Dreyfus.

C’est tout l’enjeu de ce nouvel évènement et l’on verra bien à la réaction des pouvoirs, judiciaire et politique, ce qui sera privilégié au moment même où le Président de la République François Hollande annonce au Conseil Supérieur de la Magistrature qu’il tiendra sa promesse de réformer, en le tranchant, ce lien entre pouvoir judiciaire et pouvoir politique.

Plus largement, on verra aussi si l’Affaire Kerviel suivra les traces de l’Affaire Dreyfus, par la réintégration dans son honneur (mais pas dans son innocence) le protagoniste principal mais aussi en clôturant ainsi l’Affaire, par la mise sous le boisseau des responsabilités des institutions concernées pour mieux préserver l’essentiel : hier l’Armée, aujourd’hui le système financier.

Quelque part, cacher une gangrène, qui éclatera dans un cataclysme quelques années plus tard …

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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