Piketty, le peuple, l’écologie et la République, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Piketty ne s’adresse pas au peuple quand il rend compte de ses travaux sur la nature et la mesure du capital ; ou quand il répond aux questions des journalistes sur l’actualité économique et politique. La légitimité de l’universitaire dans une élection du Président de la République au suffrage universel direct n’est donc pas frappante. Piketty s’adresse aux seules élites quand il explique les choses du capital. Le peuple voit empiriquement la réalité du capital en éprouvant quotidiennement les contraintes que sa rareté implique dans la vie concrète. Piketty n’est pas actuellement un candidat crédible et audible à la présidence de la République au suffrage universel direct. Mais il ne faut pas beaucoup forcer l’imagination pour voir Piketty en tête de la gauche au premier tour après avoir participé aux débats d’une primaire ; et prédire qu’il remporterait le second tour mieux que les professionnels de la politique face à Marine Le Pen.

Le Président de la République est en France un médiateur de la démocratie. L’élection présidentielle est une médiation incarnée de la démocratie. Dans notre histoire et dans notre constitution, le monarque préside les élites et non le peuple. La question posée par l’élection du président est celle de l’objectif politique général que le peuple veut voir défendu par son monarque auprès des élites de la nation. Le peuple français demande aux candidats à l’élection présidentielle qu’ils interpellent les élites sur la politique qu’elles appliqueront à la résolution des problèmes du peuple.

L’irrésistible montée du Front National au fil des élections vient de ce que ce parti est le seul à problématiser le sort du peuple dans un langage qui affecte les élites et les représentations des élites. Le Front National dénonce les contradictions et la trahison des élites. Il sature l’espace médiatique avec le récit des gens d’en bas évidemment méprisés par le pouvoir oligarchique. Mais finalement, le discours des frontistes sert à l’oligarchie le verrouillage du débat politique hors de la réalité concrète transformable. Aucune délibération ne peut émerger sur un commencement d’alternative à la politique ordo-libérale de tyrannie financière. Piketty est un candidat potentiel des démocrates qui veulent reprendre le chantier de la démocratie par le commencement d’une réalité intelligible et discutable et non par des incantations mystico-scientifico-religieuses.

Piketty ne nous dit pas non plus grand chose des problèmes écologiques. Mais pour donner à l’urgence climatique la place qu’elle doit avoir dans le débat politique et dans la politique tout court, on ne peut pas éviter de faire revenir la pratique politique dans la réalité physique du peuple. Qu’est-ce que la biosphère sur la planète terre hors de l’économie des humains au quotidien ? Le diagnostic synthétique que Piketty nous livre sur la situation de notre capital dans la post-modernité est l’étape conceptuelle préalable à toute discussion sur la place que la politique doit donner à la régénération de notre patrimoine naturel. Les Français comptent sur un bon gouvernement de l’économie pour vivre en harmonie avec les autres peuples sur la terre unique qu’ils habitent.

Pour construire une économie durable du climat et du milieu naturel, il faut au moins qu’il existe une économie réelle concrète d’actifs et de dettes dans le débat politique. Le remplacement de la tyrannie financière par une dictature d’experts climatiques est une spéculation d’écolo-libertarien. En revanche la réintégration du patrimoine naturel commun de l’humanité dans l’économie du capital est déjà une modalité efficiente de financement de l’investissement écologique. Nul doute que Piketty ait des propositions à faire sur la titrisation en euro du capital naturel commun des Européens et du monde ; sur la régulation écologiste des flux de capitaux par les gouvernements de la démocratie européenne ; et sur l’assurance publique européenne d’une mutualisation des investissements écologiques des citoyens européens.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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