Billet invité. Note de l’auteur : une erreur de calcul nous a été signalée et vient d’être corrigée au niveau de la fuite de méthane en cours en Californie, ce qui ne change rien à la gravité de la situation ; concernant les PRG et l’interprétation que l’on en a (2 semaines, 20 ans, 100 ans, 500 ans), un billet plus étayé est en cours de préparation au regard de l’afflux des commentaires importants à ce sujet. A suivre…
Nous avons pu constater tout au long de l’année 2015 que nous allions de surprise en surprise à l’approche d’un épisode El Niño 2015-2016 [1] qu’aucun des modèles mathématiques existants n’a été en mesure de prévoir avec précision à un horizon d’au moins 2 mois, voire plus. Nous étions là lorsque l’Antarctique adressait à l’Humanité un signal fort dès le mois de juillet 2015, pourtant nous étions incapables à ce moment là d’entrevoir le moindre lien avec ce phénomène océanique tout juste en cours de formation. Il aura fallu attendre la formation simultanée de plusieurs tempêtes tropicales dans l’est de l’océan Pacifique pour comprendre que quelque chose de majeur était bel et bien en train de se produire dans cette région du monde. Puis, lorsque l’ouragan Patricia fut évalué de catégorie 5, là il nous paraissait évident que nos problèmes ne faisaient que commencer, tout cela sans compter l’occurrence d’une énième catastrophe industrielle.
A ce stade, la communauté scientifique tarde toujours à reconnaître la dangerosité de l’épisode en cours et préfère se réfugier dans de vagues comparaisons avec l’épisode El Niño 1997-1998. A quoi bon observer et mesurer les choses dans ce cas si c’est pour ne jamais prendre le moindre risque ? Il est en effet regrettable de constater que dans la communauté scientifique d’aujourd’hui, le mot surveillance rime beaucoup plus avec silence qu’avec alerte ! Car pendant ce temps, l’une après l’autre, les populations des régions du monde les plus exposées aux risques d’inondation, voire de submersion, se retrouvent trop souvent violemment prises au piège dès l’arrivée de nouvelles tempêtes. Aussi, partant du principe fondamental qu’une vie n’a pas de prix, cela signifie d’ores et déjà que le retour social sur investissement (SRoI) de l’ensemble de nos dispositifs scientifiques de surveillance, aussi organisé et connecté soit-il, est nul ! A partir de maintenant, nous pourrions même considérer que nous évoluons d’ores et déjà en terrain négatif… mais passons.
Revenons plutôt au sujet qui nous intéresse aujourd’hui : les gaz à effet de serre. Ils sont au nombre de 207 dans l’inventaire qui est dressé au sein du 5ème rapport du GIEC ayant servi lors des négociations de la COP21. Parmi ces gaz, certains, nous le savons déjà, présentent des potentiels de réchauffement dus aux gaz à effet de serre (PRG) très élevés (à plus de 10000) après 100 ans passé dans l’atmosphère, le pire de tous étant l’hexafluorure de soufre (SF6) ayant un PRG de 23500 après 100 ans passé dans l’atmosphère et une durée de vie de 3200 ans dans l’atmosphère ; le PRG signifiant ici qu’1 kg de SF6 présente le même potentiel de réchauffement climatique que 23500 kg (ou 23,5 t) de dioxyde de carbone (CO2). Fort heureusement pour nous, ce ne sont pas ceux qui présentent les plus fortes concentrations dans l’atmosphère. Il n’en demeure pas moins que certains gaz au PRG bien plus faible, puissent présenter dans l’immédiat des risques bien plus importants du fait notamment de l’augmentation de la masse nuageuse. Et c’est le cas notamment du méthane (CH4) dont le PRG est de 85 après 20 ans passé dans l’atmosphère. En effet, il existe une réaction chimique qui depuis la dissociation photochimique de l’ozone (O3) et de l’eau (H2O) permet d’oxyder le méthane. Sauf que paradoxalement, une augmentation de la masse nuageuse conduit à un blocage des flux de photons nécessaires à cette dissociation photochimique, et donc dans le même temps à un mauvais fonctionnement du puits de méthane, ce gaz à effet de serre restant ainsi plus longtemps dans l’atmosphère.
Or, il ne nous aura sans doute pas échappé qu’une catastrophe industrielle sans précédent, due à une fuite de méthane, était actuellement en cours en Californie depuis le 23 octobre 2015 et devrait être définitivement colmatée courant mars 2016. On estime que plus de 80000 tonnes de méthane se seraient d’ores et déjà échappées dans l’atmosphère, soit l’équivalent d’au moins 6,8 Mt de dioxyde de carbone, c’est à dire de l’ordre de 0.0125 % des émissions annuelles mondiales. Et ce n’est hélas pas terminé. Une paille à laquelle viennent s’ajouter bien évidemment toutes les autres sources d’émission de méthane du fait de nos activités anthropiques…
De plus, qu’observe-t-on dans le même temps dans notre atmosphère du fait de l’épisode El Niño 2015-2016 [1] ? Eh bien malheureusement une augmentation sans précédent de la quantité de vapeur d’eau et donc de la masse nuageuse, soit la formation d’une gigantesque boucle de rétroaction positive accentuant d’autant le réchauffement en cours par effet de serre, du fait notamment de l’irradiation terrestre…
Carte de l’anomalie de quantité de vapeur d’eau par décennie pour la période 1988-2014 [2].
Carte de l’anomalie de quantité de vapeur d’eau en novembre 2015 par rapport à 1988 [2].
La moyenne de l’anomalie de quantité de vapeur d’eau due à l’évaporation des océans, qui ne dépassait jamais les 2 mm par mètre carré et par année depuis le début des mesures en 1988, 2 mm étant le record détenu par l’épisode El Niño 1997-1998 pour l’ensemble des latitudes situées autour de l’équateur entre les latitudes 20°N et 20°S, a littéralement doublé fin 2015 pour tendre vers 4 mm sous ces mêmes latitudes. Et il en va de même sous nos latitudes où la moyenne de l’anomalie de quantité de vapeur d’eau, qui ne dépassait jamais le mm par mètre carré et par année depuis le début des mesures en 1988, s’établissait à 2 mm fin 2015. C’est dire la violence de l’épisode El Niño 2015-2016 toujours en cours dont la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) vient de retenir la moyenne sur trois mois de l’anomalie de température de surface en El Niño 3.4 à 2,3°C pour le trimestre octobre-novembre-décembre 2015 par rapport à 1950. En conséquence de quoi nous pouvons dès maintenant craindre une saison 2016 de tempêtes tropicales extrêmement agitée.
Ce n’est donc pas un hasard si l’on peut d’ores et déjà observer d’abord au beau milieu de l’océan Pacifique puis, seulement 2 jours après, au beau milieu de l’océan Atlantique, les toutes premières tempêtes tropicales de l’année, phénomènes tout à fait inhabituels pour un mois de janvier ; en océan Atlantique il faut remonter à 1938 pour retrouver un cas de formation similaire…
Voici Pali, en océan Pacifique – Courtesy of the US Naval Research Laboratory.
Voici Alex, en océan Atlantique – Courtesy of the US Naval Research Laboratory.
L’année 2016 commence vraiment très bien… Le Baltic Dry Index (BDIY), l’indice des prix du transport maritime, va pouvoir tranquillement poursuivre sa chute en eau profonde !
Erratum :
J’avais initialement écrit :
Or, il ne nous aura sans doute pas échappé qu’une catastrophe industrielle sans précédent, due à une fuite de méthane, était actuellement en cours en Californie depuis le 23 octobre 2015 et devrait être définitivement colmatée courant mars 2016. On estime que plus de 80000 tonnes de méthane se seraient d’ores et déjà échappées dans l’atmosphère, soit l’équivalent d’au moins 6,8 Gt de dioxyde de carbone, c’est à dire de l’ordre de 12,5% des émissions annuelles mondiales. Et ce n’est hélas pas terminé. Une paille à laquelle viennent s’ajouter bien évidemment toutes les autres sources d’émission de méthane du fait de nos activités anthropiques…
Merci à Germain Guinchard d’avoir relevé l’erreur !
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[1] EL NIÑO 2015-2016 : hélas monsieur Attali, le Père Noël n’existe pas, mais nous devrions tous croire en « L’enfant Jésus »…, par Philippe Soubeyrand
[2] Monthly TPW data are produced by Remote Sensing Systems and sponsored by the NASA Earth Science MeaSUREs DISCOVER Project.
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