Billet invité
The Big Short [Le Casse du siècle, d’Adam McKay ; film américain produit par Brad Pitt, avec notamment Ch. Bale, S. Carell, R. Gosling, B. Pitt …] est un film impressionnant, très fort ; il suffit de relire le billet de Paul Jorion : ses mots en disent l’essentiel sur la forme et le fond. Il faut toutefois insister sur la qualité de cette œuvre exceptionnelle, à la fois intelligente, perturbante et drôle, pour qu’elle soit vue par le plus grand nombre de spectateurs.
L’art est indispensable car, en associant de l’affect à la compréhension, il permet de rendre plus accessibles des choses que certains s’ingénient à rendre opaques.
Je voudrais simplement ajouter une remarque. La grande salle d’un multiplexe (en grande banlieue) où j’ai vu ce film était pleine, en majorité des jeunes. Qu’ont-ils ressenti ? Pour reprendre des mots de l’ « ennemi » comment capitaliser sur un tel film, en tirer des gros dividendes, créer un effet de levier (LBO) ? Tout y est dit avec efficacité, talent et même pédagogie – J. Mandelbaum, critique au Monde parle de « comique pédagogique ». On ressort de la séance à la fois secoué, révolté mais probablement résigné, avec un certain sentiment d’impuissance.
Peu avant la fin du film, comme le rappelle de mémoire P. Jorion, un narrateur explique en voix off:
« La finance est aujourd’hui réformée, les financiers véreux, sous les verrous, et les grandes banques responsables de la tragédie, démantelées … Non, je déconne évidemment ! ».
C’est un moment clé car il y a un écran noir, suivi de la description de la situation actuelle. Le spectateur devrait se transformer en acteur indigné puisque pratiquement dix ans après ces événements (début en 2006), il va devoir admettre que tout est resté pareil, rien, absolument rien, n’a été changé à ce système financier parasitaire, fou et hors contrôle, et la conclusion est évidemment effrayante : nous fonçons à nouveau vers un mur, celui d’une nouvelle crise financière majeure. Mêmes causes : mêmes effets.
Mais cela nous ne pouvons plus nous le ‘permettre’ : la COP21 aura eu le mérite de le proclamer, il y a urgence devant les défis du changement climatique en cours et comme Philippe Soubeyrand le souligne dans son billet, rien n’est fait à la hauteur de ces dangers. Et ce n’est pas fortuit, ce sont bien les mêmes dirigeants qui sont supposés résoudre ces problèmes et qui ne font rien pour les précédents.
Il faut réveiller les gens, les jeunes en particulier tellement opprimés par l’instauration progressive d’un système inédit de totalitarisme (mélange de néoféodalisme et de fascisme en col blanc), dire que ce que l’on soupçonne est vrai (bien sûr sans l’écueil du complotisme !), et enfin réagir. Dans son dernier billet François Leclerc remarque :
« Une leçon peut déjà être tirée de l’expérience espagnole, la plus prometteuse : le mouvement doit à la fois venir d’en haut et d’en bas, et les mots de la politique n’en sont pas le catalyseur. »
Pensons à Socrate et sa maïeutique, et plus spécifiquement dans sa méthode, à l’art de faire naître à la conscience, par le dialogue, ce qui confusément est déjà su. Il nous faut donc trouver un catalyseur, un pédagogue, une personnalité française sans ambition politicienne mais animée des plus hautes ambitions pour faciliter la naissance d’un grand soulèvement citoyen et pacifique. Car tout est si simple en fait : un vol en continu et à l’échelle planétaire, une caste de plus en plus réduite et de plus en plus sûre d’elle même, une pseudo-élite à son service, des serviteurs, des chiens de garde, un contrôle social au maillage de plus en plus fin, une langue type Novlangue pour abrutir les cerveaux (compétitivité, dette …). Dans le monde de la finance, cela reviendrait à mettre fin à la synergie catastrophique illustrée dans le film, celle de la fraude et de la stupidité – des règles que l’on enfreint impunément ; des théories ineptes qui justifient toutes les absurdités, du moment quelles sont profitables à certains (*).
Simplement faire comprendre aux citoyens que ce qu’ils subissent n’est pas une fatalité. Le roi est nu mais ceux qui le proclament habillé ont tous les moyens pour eux. Que s’est-il passé à Berlin en 1989 quand la peur s’est évanouie ? Comment les Empires implosent-ils ? Comment une fascination prend-elle fin ?
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(*) – le film démolit avec brio, grâce à des dialogues pleins d’humour noir, deux dogmes : l’autorégulation des marchés et l’efficacité des Agences de notation qui sont non seulement payées par les compagnies contrôlées mais également mises en concurrence (soyez gentil avec vos clients, sinon je me fais évaluer ailleurs… : comment peut-on inventer ça ?). Mais les lecteurs de ce blog sont évidemment familiers avec ces absurdités résultant de la fausse science économique.
@Bruno GRALL La domination patriarcale ne relève pas de découvertes scientifiques, mais ce sont des recherches scientifiques dans le domaine…