FUKUSHIMA : IL FAUDRA PLUS D’UNE VIE, par François Leclerc

Billet invité.

Quelle vision peut-on avoir aujourd’hui de la catastrophe de Fukushima, que l’on subodore promise à se poursuivre durant des décennies ? Certainement pas celle de sa maitrise, l’opérateur de la centrale continuant en permanence à improviser face à des évènements qu’il n’a pas anticipés et qui le dépassent, accumulant les tentatives et souvent les échecs. Tout au plus peut-il aujourd’hui revendiquer une certaine stabilisation vouée à être mise en cause sans que l’on sache ni quand ni comment. Le parallèle avec la crise financière se poursuit.

Une première constatation s’impose : son démantèlement n’aura pas lieu dans les quarante années à venir, comme il a été prétendu au tout début pour accréditer l’idée d’une maîtrise qui reste à démontrer. Le cœur du problème rencontré réside dans le combustible nucléaire, qui a fondu et percé la cuve en acier de trois réacteurs pour se répandre on ne sait exactement où. Cette étape finale du démantèlement pourra-t-elle d’ailleurs jamais avoir lieu  ?

Avec quels moyens robotisés ces trois coriums pourront-ils être un jour observés puis récupérés afin de les stocker, et dans quelles conditions ? Ces questions clé restent sans réponse. Il faut aujourd’hui avoir la foi du charbonnier et se contenter de l’affirmation selon laquelle des dispositifs de haute technologie capables de résister à des niveaux de radiation intenses et de manipuler les coriums seront inventés. Dans cette attente, le résultat des tentatives renouvelées d’exploration par des robots de l’intérieur des enceintes des réacteurs – où les humains ne peuvent pénétrer sous peine de mort – n’incite pas franchement pour l’instant à l’optimisme.

Dans l’immédiat, des masses d’eau souterraines continuent d’être contaminées au contact de ces coriums, après avoir pénétré dans les sous-sols des réacteurs. Une partie de celles-ci aboutit dans l’océan en dépit de la tentative de les contenir par un mur dont l’étanchéité et la résistance à la pression fait problème. Le mur de glace souterrain, nec plus ultra de la technologie, qui devait encercler les sous-sols des réacteurs avec le même objectif a été entretemps abandonné après des essais infructueux. Fukushima continue de produire quotidiennement trois cent tonnes d’eau contaminée, qu’il faut se résoudre à stocker sans limite de temps.

Que les coriums aient ou non réussi à percer la semelle de béton qui constitue le socle des réacteurs dont ils ont percé la cuve en acier est en réalité une question secondaire : si la contamination de l’atmosphère paraît contenue (*), il n’en est pas de même de celle du terrain sur lequel repose la centrale. Ce qui impliquera qu’il soit profondément creusé et qu’une gigantesque quantité de terre polluée soit stockée dans une enceinte adéquate afin de le décontaminer. A moins qu’entretemps l’intégrité des structures d’un réacteur soit affectée sous les effets d’affaissements de terrain et de secousses telluriques successives. À Fukushima, les ingénieurs de l’électronucléaire ont pénétré en territoire inconnu, situation qu’ils partagent avec ces explorateurs en eaux troubles des temps modernes que sont les analystes financiers.

Afin d’asseoir sa crédibilité, le responsable de la décontamination et du démantèlement de Fukushima, Naohiro Masuda, ne veut rien promettre, car « nous n’avons pas d’expérience sur laquelle nous appuyer, il n’y a pas de manuel pour ce genre de situation ». Interrogé lors d’une conférence de presse sur les délais qui lui seraient nécessaires pour mener à bien sa mission, il a parlé d’un demi-siècle, mais reconnaît que cela pourrait prendre plus de temps. Aux questions portant sur ce qui pouvait être attendu des interventions robotisées, ou bien du coût final du démantèlement, il a répondu qu’il faudrait du temps pour y répondre définitivement. Enfin, concernant la localisation des coriums, il reconnaît ne disposer que de simulations informatiques et des images de synthèse qui en découlent.

Son attitude fait contraste avec les annonces du gouvernement et de Tepco l’opérateur, qui jusqu’à présent faisaient assaut d’assurances. Cela reflète sans nul doute sa propre modestie devant la tâche qu’il entreprend, qu’il ne conclura pas de son vivant, et accessoirement une stratégie de communication qui sauvegarde sa crédibilité, mieux adaptée aux incertitudes de la situation.

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(*) La découverte il y a un an dans la ville de Takasaki, à environ 300 km de Fukushima, d’isotopes à demi-vie très courte comme l’iode 131 et le tellure 132 soulève des interrogations à propos d’incidents de criticité qui auraient pu intervenir à cette époque à Fukushima.

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