Billet invité.
En 2009, le lobby de la restauration obtient une baisse de la TVA en contrepartie d’une série d’engagements : le premier était de répercuter cette diminution sur une sélection de produits, visant une baisse du prix des repas pour les consommateurs. Le deuxième était de créer 40 000 emplois supplémentaires sur deux ans par rapport une tendance naturelle estimée à 15 000 emplois par an, le tout en revalorisant les salaires. Enfin, les professionnels de la profession s’engageaient à consacrer 1 Md€ par an à l’investissement.
Ce « contrat d’avenir » (c’est son nom) non contraignant est l’archétype d’accords présentés comme des avancées en matière d’emplois par les grands médias. La Cour des comptes a analysé les résultats dans un document publié le 16 décembre. Au-delà du bilan, il est intéressant de regarder le compte rendu qui en a été fait par les médias et le rapport lui-même, dont le contenu est bien plus large, son titre exact est d’ailleurs : « LA TVA COMME INSTRUMENT DE POLITIQUE ECONOMIQUE ».
Commençons par le bilan de cette mesure tel que décrit dans le rapport :
- « L’abaissement du taux de TVA a été répercuté à hauteur de 20 %… Ce qui correspond à une baisse des prix de l’ordre de -2,4 %, contre une baisse anticipée de -9,8 % dans l’hypothèse d’une répercussion intégrale »
- « L’estimation du nombre d’emplois créés par la baisse du taux de TVA, compte tenu de la tendance naturelle observée antérieurement dans le secteur, est de l’ordre de +6 000 à + 9 000 emplois supplémentaires par an (…) pour un coût net pour les finances publiques en moyenne de 2,6 Md€ par an »
- « Le coût par emploi créé du taux réduit de TVA est bien supérieur à celui estimé pour les dispositifs de soutien direct à l’emploi, auxquels il s’est substitué (…) dispositifs qui auraient conduit à la création 7 000 emplois supplémentaires par an, pour un coût total deux fois inférieur à celui estimé pour le taux réduit de TVA »
- « La baisse de la TVA aurait ainsi eu pour principal effet d’encourager les créations d’emplois de courte durée ainsi que l’augmentation des heures supplémentaires, voire la régularisation des heures déjà travaillées »
Un compte rendu assez parcellaire de ces points a été fait dans les médias. Les rapports de la Cour des comptes sont souvent pain béni pour des journalistes (propagandistes ?) qui y trouvent des arguments en faveur de la religion féroce, en particulier sur le poids excessif de l’État dans l’économie. Paradoxalement, tout fait sens pour les communicants de l’idéologie dominante. Ce ne sont pas les promesses non tenues par les entreprises ou l’influence des lobbys qui sont le sujet principal, c’est la gabegie de l’État qui mène des politiques onéreuses et inefficaces.
Les médias ont délaissé l’introduction de ce rapport qui s’interroge sur « les politiques économiques contra-cycliques (…) évaluées au travers des multiplicateurs budgétaires ». L’estimation par la Cour des comptes est intéressante : la baisse de la TVA « permettrait d’atteindre un effet multiplicateur relativement plus élevé que l’ensemble des autres variantes testées : 1,7 point de PIB pour la variante TVA (à condition qu’elle soit répercutée dans les prix – Note personnelle) contre 1,5 point de PIB pour la baisse des cotisations sociales employeur ou la hausse de l’emploi public et 1,3 point de PIB pour la hausse des prestations sociales ou de l’investissement public ».
Ces estimations interpellent. La hausse de l’emploi public serait tout aussi efficace que la baisse des cotisations sociales pour les employeurs. Les dépenses publiques ou la redistribution au travers des prestations sociales auraient aussi un effet très positif sur l’ensemble de l’économie. Imaginons un instant que le montant de 2,6 Md€ par an (le coût de la baisse de TVA pour le budget de l’État) ait été affecté aux recrutements dans des secteurs publics comme la santé ou la justice où le manque de moyens est flagrant. Compte tenu d’un salaire moyen dans la fonction publique de 3076 € bruts par mois, toutes catégories d’agents confondues, on est à un coût de l’ordre de 1,2 Md€ par an pour 30 000 nouveaux agents, plus que l’estimation haute des emplois créés par ce cadeau fiscal. À ces dépenses, on pourrait ajouter (fictivement compte tenu des règles de la fonction publique) des charges pour l’État (maladies, dépenses sociales hors chômage…). Une estimation à 2 Md€ par an pour le coût réel de ces emplois paraît très large. Les 600 millions d’euros par an restant seraient tout à fait en mesure de financer d’éventuelles infrastructures supplémentaires dans ces secteurs.
Le rapport de la Cour des comptes ne se contente pas d’analyser et de juger du bon emploi des fonds publics, il est censé éclairer l’action des hommes politiques. Certes, l’estimation du multiplicateur budgétaire est devenue un sujet sensible depuis les écrits de M. Blanchard sur leur évaluation par le FMI. Néanmoins, le contexte est différent puisqu’il est analysé ici dans la perspective plus traditionnelle des politiques de relance. De ce point de vue, ce rapport place au même niveau l’impact d’une politique fondée sur l’emploi public et celui d’une politique centrée sur l’offre et la compétitivité (la baisse des cotisations sociales employeur). En d’autres termes, le scénario totalement imaginaire de recrutements dans le secteur public que je viens de décrire serait tout aussi bénéfique, sinon plus dans ce cas précis, que cette mesure mal ciblée et aux résultats insuffisants.
Bien sûr le rapport de la Cour des comptes reste influencé par la religion féroce. Les comparaisons utilisées ou omises par cette institution illustrent en creux des présupposés idéologiques. En évaluant l’efficacité relative des dispositifs d’aides à la création d’emploi et leurs coûts, il se place dans le cadre d’une économie de marché, où les aides compensent des charges sociales trop lourdes. C’est une situation que la Cour des comptes pointe régulièrement du doigt, de même que le poids excessif de l’État dans le PIB par rapport à d’autres pays européens.
C’est bien cette version de l’histoire que veulent retenir les politiques. Leurs choix sont avant tout dictés par l’idéologie dominante : ce qui ne va pas dans le sens de la religion féroce est laissé de côté. Dans tous les cas de figure, leur préférence va à des cadeaux et autres allègements de charges qui diminuent la part des rentrées fiscales, mais ne gonflent pas (en apparence) la part redistributive de l’État ou son poids dans l’économie. Tant pis si la maîtrise des effets de ces politiques est inexistante, tant pis si ces mesures renforcent les rapports de forces en faveur des entreprises : tout plutôt que d’être accusé d’être un État interventionniste.
Dans ce cas précis, aucune promesse ne fut tenue par des entreprises si souvent présentées comme citoyennes. Le journal de « France 2 » du 17 décembre nous montrait comment un restaurateur avait profité de l’aubaine pour investir dans la rénovation de son établissement sans recruter le moindre employé supplémentaire. Comme toujours pour des cadeaux fiscaux, l’éventail des effets a été très large. Il est probable que certains restaurateurs auront simplement sauvé leurs entreprises alors que d’autres auront augmenté leur marge brute et réalisé plus de profits.
Comment le lobby de la restauration a-t-il pu obtenir de telles mesures ? En matière d’emploi, d’autres secteurs représentent bien plus de salariés… On ne peut s’empêcher de penser qu’outre la force des lobbys, la fréquentation assidue des restaurants par le monde politique a dû contribuer à un examen bienveillant de cet accord… Apparemment, le gouvernement précédent était satisfait des résultats puisqu’un avenant de juillet 2011 a prorogé ces engagements jusqu’en 2015. De toute façon, les deux hausses limitées de 2012 (7 %) et 2014 (10 %) le montrent, il sera difficile de revenir entièrement sur la baisse de la TVA dans la restauration, le manque à gagner fiscal va perdurer pour longtemps.
Mais c’est quand même se donner beaucoup de mal pour reproduire en moins bien ce qui existe déjà dans la…