Combattre le FN, par Michel Leis

Billet invité.

Voter nécessite de se projeter dans un futur, mais lequel ? Cela fait trente ans que le logiciel politique des partis de pouvoir reste figé sur la même case. La croyance en de meilleurs lendemains s’est évaporée, le confort matériel que nous avons eu tant de mal à construire est menacé. Le ressentiment grandit vis-à-vis du monde politique. L’abstention et le vote sanction ont longtemps été le principal mode d’expression des citoyens, ce dont s’accommodait fort bien le personnel politique, feignant d’ignorer l’inexorable montée du FN.

Le FN a construit un discours qui matérialise les peurs et leur donne un objet, « l’autre » : le jeune, l’islamisme, l’immigré, le réfugié, Bruxelles (par opposition à un État supposé protecteur). C’est en phase avec une époque anxiogène et efficace comme stratégie de conquête du pouvoir… Peu importe qu’une grande partie de ces peurs ne correspondent à aucun vécu, qu’elles se réfèrent à une partie du territoire qui reste « terra incognita » pour le plus grand nombre. Le FN va construire des murailles, nous protéger de l’autre, il va rejeter les mauvais citoyens à l’extérieur, il va construire une politique sociale et protectrice à l’abri des menaces extérieures.

Au-delà de ces analyses largement partagées, les stratégies de ceux qui entendent combattre le FN se bercent d’illusions, comme s’ils ne comprenaient pas la nature profonde de ces succès électoraux.

La première est de penser que les abstentionnistes sont un réservoir qu’il suffit de mobiliser pour ramener le FN à de justes proportions. Ces abstentionnistes ont-ils une opinion différente de l’ensemble des électeurs ? Rien n’est moins sûr. Ils sont sûrement désabusés par le jeu politique, mais s’ils devaient s’exprimer demain dans les urnes, je doute qu’ils votent différemment du reste de la population. En 2014 et 2015, le sursaut de mobilisation au deuxième tour des dernières élections municipales et départementales à certains endroits où les enjeux étaient forts n’a pas changé le résultat.

La deuxième illusion est de penser que le défaut du « logiciel démocratique » est l’absence de consentement éclairé. En apportant la bonne information aux individus, en se livrant à un travail d’explication, on pourrait reconstruire un débat et convaincre les individus d’apporter leur soutien à une autre politique. Est-ce bien sûr ? Il y a une grande part d’irrationnel dans le choix des électeurs FN. Regarder le journal télévisé de France 2 du 7 décembre, examiner les résultats par commune montre combien le FN fait des scores dans des communes où il n’y a pas d’immigration, où l’insécurité est du domaine de la rumeur, où le chômage reste inférieur à la moyenne nationale.

La troisième consiste à vouloir construire un cordon sanitaire. Quoi qu’on pense de ce parti, de son discours, des préjugés dont il a fait son fonds de commerce, il mobilise 30% des électeurs. Ce sont des citoyens qui ont placé, qu’on le veuille ou non, leur dernier espoir de changement et de protection dans le vote FN. On ne construit pas un cordon sanitaire autour de la peur, même quand elle se trompe d’objet. On n’ignore pas un discours sous prétexte qu’il est nauséabond, on le combat frontalement.

Le FN a fait de la peur des atteintes à la personne son fonds de commerce. Sur le plan tactique, la seule manière de le contrer efficacement est de se placer en partie sur son terrain, en donnant à la peur son vrai visage : chômage, réduction du pouvoir d’achat, disparition totale de l’ascenseur social, catastrophes climatiques, menaces sur la survie… Le consentement des citoyens se fait sur un discours politique qui doit être en phase avec la régulation collective dominante. Le programme doit apporter des réponses sur le fond, sa pertinence ne suffit pas pour conquérir le pouvoir.

Ce qu’illustre paradoxalement le vote FN, c’est une demande pour un État fort et protecteur. Cette demande, un parti avec d’autres valeurs pourrait tout aussi bien le porter, il faut juste ne pas se tromper de tactique.

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