L’Écho, Sept ans après, le 8 décembre 2015

La chronique ci-dessous devait paraître simultanément dans Le Monde en France et dans L’Écho en Belgique. Si elle n’a pas paru dans Le Monde, c’est – m’annonce-t-on en fin d’après-midi – qu’« à cause des attentats, nous avons épuisé notre quota de pages auprès des imprimeurs pour l’année ». Vous attendrez donc la fin des attentats pour me relire dans Le Monde ! Mon correspondant dans le grand quotidien de l’après-midi a cependant la franchise d’ajouter en remarque : « Vive la presse libre et indépendante ! » On ne peut mieux dire ! R.I.P.
Dernières nouvelles : Paraîtra dans Le Monde le 17 décembre !

Un quotidien financier anglo-saxon évoquait récemment ce qu’il appelait « la thèse populiste d’un démantèlement des banques systémiques ». Rappelons qu’un établissement financier est qualifié de « systémique » lorsque sa faillite est susceptible d’entraîner à sa suite un effondrement du système financier dans son ensemble.

Quelle est l’origine de cette « thèse populiste » ? En fait, si l’on remonte sept années en arrière, à l’automne 2008, on découvre que la thèse du démantèlement des banques systémiques n’avait alors rien de spécialement « populiste » et faisait en réalité l’unanimité des autorités en matière de finance. On s’en persuadera aisément en retournant voir dans les colonnes du même journal, parmi d’autres. La raison en était simple : on ne connaissait à cette solution, aucune alternative.

On se souviendra qu’avant d’être appelées « systémiques », ces mêmes banques portaient le sobriquet de « too big to fail » : trop grosses pour faire défaut, sous-entendu … sans entraîner le système entier à leur suite. La solution était simple et elle était effectivement unique : faire qu’elles soient moins grosses en les décomposant en modules tels que chacun de ceux-ci ne présente pas de risque systémique. C’est cela qu’évoquait Nicolas Sarkozy le 25 septembre 2008 dans le discours de Toulon : « La crise devrait amener à une restructuration de grande ampleur de tout le secteur bancaire mondial ». Or cette restructuration n’a pas eu lieu. Lorsque la question fut posée en décembre 2012, Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances, déclara : « Je n’ai pas envie de casser le modèle français de banque universelle », laquelle « banque universelle » s’adonne à toutes les activités financières, ce qui est précisément la caractéristique de toute banque systémique.

Souvenons-nous, c’est dans ce même discours de Toulon que le président de la république d’alors affirmait aussi : « Les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage au moins sanctionnés financièrement. L’impunité serait immorale. » On le sait, cela non plus n’a pas eu lieu et, toute immorale qu’elle soit, l’impunité prévaut toujours.

N’a-t-on rien fait pour réduire le risque systémique des banques trop grosses ? Si, on a voulu leur imposer de constituer des réserves en capital plus importantes, pour jouer le rôle d’amortisseurs, ce qu’elles ont refusé, arguant que ceci handicaperait l’économie puisque ce serait autant d’argent qu’elles ne pourraient pas prêter aux entreprises et aux particuliers, argument spécieux si l’on pense que plus de la moitié des sommes qu’elles prêtent va à la spéculation sous une forme ou une autre. Spéculation dont il était pourtant dit, encore à Toulon, qu’« on a laissé les banques spéculer sur les marchés au lieu de faire leur métier qui est de mobiliser l’épargne au profit du développement économique et d’analyser le risque de crédit. On a financé le spéculateur plutôt que l’entrepreneur. » Qu’a-t-on fait au cours des sept dernières années pour juguler la spéculation ? La réponse est simple : absolument rien. Pire encore, il n’a à aucun moment été question de revenir sur l’abrogation des lois qui l’interdisaient en France jusqu’en 1885.

La raison de cet immobilisme ? Les milieux financiers ont mis leur veto à toute autre stratégie que la reconstitution à l’identique du système financier dévasté en 2008, et ceci en dépit des vices rédhibitoires mis à nu par la crise.

Que faut-il en attendre ? La réponse à déjà été donnée, et là aussi à Toulon le 25 septembre 2008 : « Nous venons de passer à deux doigts de la catastrophe, on ne peut pas prendre le risque de recommencer. » On ne peut pas mais on le fait quand même, et non parce qu’on ne saurait pas ce qu’il conviendrait de faire.

Hegel a attiré notre attention sur le fait que nous, peuples et gouvernements, n’apprenons rien de l’histoire. La raison en est désormais connue : c’est que cela contreviendrait aux intérêts de la Banque.

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