Blog de Paul Jorion

Billet invité.

Des millions de bénévoles ont participé samedi au Téléthon — surtout des actions à long terme, puisque ces contributions concernent principalement la recherche médicale. Or le lendemain dimanche, des millions de gens vont voter à l’extrême droite et les effets à long terme, ils ne les connaissent pas ou s’en fichent… Leur vote a très certainement une composante de dégout envers les z’élites. Mais il porte un sale message et il est littéralement « inqualifiable ».

Connaissant des acteurs du Téléthon, je pense qu’aucun d’eux ne vote dans le refus des autres mais peut-on être certain que ces deux ensembles constitués de ces millions de personnes n’ont pas un sous-ensemble commun ? Un télescopage ? Deux faits doivent être rappelés : le Téléthon va rapporter de l’ordre de 80 millions d’euros ; la fraude fiscale des riches français s’élève à environ 50 à 80 milliards … donc mathématiquement si ces riches fraudeurs donnaient un millième de ce qu’ils vont planquer, l’objectif du Téléthon serait atteint aisément. Mathématiquement mais pas humainement car les bénévoles, eux, s’enrichissent de vraies valeurs, don gratuit, générosité, solidarité, empathie, de ce qu’ici on nomme « philia ».

Mais cette infamie systémique qui bloque toute redistribution des richesses créées a sûrement des effets politiques délétères qui pourraient donner des clés sur des comportements paradoxaux.

La touchante photo de Marc Zuckerberg avec son épouse, tenant son bébé dans les bras, est un indice fort de l’impasse dans laquelle se retrouve le système à concentrer les richesses. Thomas Piketty en a décrit les effets et Paul Jorion dans plusieurs livres a démonté les mécanismes. Le fondateur du trombinoscope mondial « donne » 45 milliards et en garde 1 %. Incidemment on découvre concrètement combien une fortune en milliards est au-delà de l’humain puisque on peut en filer 99% il reste toujours assez… Comme toujours les esprits subtils vont analyser, décortiquer, critiquer et, certainement avec raison, souligner que ces 45 milliards sont aussi des gains (potentiels) acquis par l’abolition (voulue par les économistes ultralibéraux) de tout impôt, par l’impossibilité de toute distribution équitable – indispensables ! – des richesses créées aboutissant à leur captation par quelques uns, mis par leurs talents mais aussi par un écosystème unique (Internet et ses effets de masse) en position de rafler la mise. Mais Zuckerberg est aussi un jeune homme ému par sa fille et qui entrevoit son futur. Bien sûr il est lui forcément optimiste mais d’une certaine manière il rejoint par son geste concret la conclusion faite par un penseur belge (que malheureusement il ne peut lire en anglais…) sur les risques systémiques que ce blocage complet fait encourir au monde dans lequel sa fille vivra… Mais Zuckerberg n’est pas isolé : B. Gates parmi ces néo-riches silicon-valleyiens avait initié cette « redistribution » volontaire et si l’on y réfléchit totalement anti-démocratique ; quelques individus ont acquis le pouvoir de décider à qui et à quoi ils vont donner… Il faut remarquer que les grandes fortunes héritées sont souvent plus avares et peu généreuses comme on le voit en France. Xavier Niel, fortuné de type GAFA, l’illustre a contrario puisque il participe à une initiative aux côtés de ses pairs américains à la CPO21.

Voilà des choix humains : donner de soi-même par ses actes ; essayer pathétiquement de compenser les effets mortifères d’une machine infernale dont on est une des rarissimes bénéficiaires. Dans une société atteinte d’une telle pathologie, comment s’étonner de votes auto-destructifs ?