Paul Jorion, Penser tout haut l’économie avec Keynes, Odile Jacob 2015 : 91-92
Dans son essai intitulé « The end of laissez-faire », Keynes termine son examen de la doctrine du laisser-faire par quelques dures remarques sur la nature du capitalisme :
« Je pense pour ma part que le capitalisme, géré avec sagesse, peut probablement être rendu plus efficace dans la tâche de réalisation de buts économiques que tout autre système dont nous avons connaissance, mais qu’en lui-même, il est de bien des manières extrêmement répréhensible […] ce qui me semble être la caractéristique essentielle du capitalisme, c’est la manière dont l’appel intense qu’il adresse aux instincts des individus qui les poussent à faire de l’argent et à aimer l’argent, constitue chez lui la principale force motrice de la machine économique ».
Le monde des affaires peut-il alors accepter les propositions faites par Keynes pour améliorer le fonctionnement du capitalisme ?
« Suggérer à la City de Londres une action de type social dans une perspective de bien public est l’équivalent de discuter de L’origine des espèces avec un évêque il y a soixante ans [P.J. : dans les années 1870]. La réaction instinctive n’est pas d’ordre intellectuel mais moral. C’est une orthodoxie qui est mise en question, et plus les arguments seront convaincants, plus grave sera l’offense. Ceci étant dit, m’étant aventuré dans le repaire du monstre en léthargie, j’ai quand même pu investiguer ses prétentions et sa généalogie de manière à mettre en évidence qu’il a régné sur nous davantage par droit héréditaire que par mérite personnel ».
Pourquoi les inconditionnels du capitalisme rejettent-ils, se demande Keynes, ce que j’avance, alors que mes propositions n’ont qu’un seul but : le sauvetage du système qui leur est si cher ? La réponse est celle-ci :
« … les adeptes du capitalisme sont le plus souvent indûment conservateurs, et rejettent les réformes de son fonctionnement technique qui pourraient en réalité le renforcer et le préserver, de peur que celles-ci ne se révèlent n’avoir été en réalité que les premiers pas conduisant à son abandon ».
C’est donc que les hommes d’affaire ont percé à jour Keynes et savent quel est son véritable objectif.
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Keynes, John Maynard, « The end of laissez-faire », 1926, in Essays in Persuasion, Donald Moggridge (sous la dir.) The Collected Writings of John Maynard Keynes, Volume IX, Cambridge : Macmillan / Cambridge University Press for the Royal Economic Society, [1931] 1972 : 272-294
PJ : « Un lecteur d’aujourd’hui de mon livre Principes des systèmes intelligents » Je pense que c’est le commentateur Colignon David*…