Il est question dans le billet de Philippe Soubeyrand que je viens de mettre en ligne, des pluies torrentielles en Californie en 1997. J’y indiquais en note que je publierais un petit texte, rédigé peu de temps après, relatif à ces événements.
En ce début de soirée de l’automne 1997, je me rendais de l’université d’Irvine en Californie du Sud située à l’arrière des contreforts de la première ligne de collines côtières, où je venais de diriger un séminaire, à Laguna Beach, une petite ville côtière escarpée qui me servait de lieu de résidence, quand la pluie se mit à tomber.
Il ne s’agissait pas d’une averse californienne du type ordinaire, qui ne se distingue pas spécialement des averses européennes, mais d’une pluie comme j’en avais connu en Afrique : le ciel qui se déverse soudain sur votre tête, un rideau d’eau pratiquement impénétrable. Il faisait nuit noire et je roulais sur une route à deux voies quand, tout à coup, le trafic se bloqua : quelques véhicules étaient arrêtés devant moi et d’autres rapidement derrière moi aussi. La route à deux voies était en pente, débouchant sur un vallon puis reprenant son ascension sur le flanc d’une colline me faisant face. Sur cet autre versant, le trafic en sens inverse était également interrompu : je voyais les phares de voitures immobilisées. Il me fallut un moment pour m’inquiéter et quelques instants supplémentaires ensuite pour parvenir à décrypter la situation. Sur le toit de la voiture à la tête de ma colonne, un homme était assis, et en regardant bien on notait un étrange chatoiement autour de son véhicule, en fait, c’était de l’eau et en regardant mieux on comprenait que le niveau de l’eau montait jusqu’à mi-portière. La situation devenait enfin claire : un torrent traversait désormais la route, une automobile y était immobilisée et son conducteur ne devait son salut qu’au fait d’avoir grimpé sur son toit.
Mon véhicule à moi était un vieux pick-up truck Toyota jaune prêté pour de longs mois à un anthropologue européen victime d’un revers de fortune. Il n’avait qu’une seule qualité mais elle tombait à point nommé ce soir-là, d’être un véhicule tout terrain. Je n’ai fait ni une ni deux, j’ai quitté la route sur ma droite et remonté sur le bas-côté la colonne de véhicules qui s’était formée derrière moi. Je suis allé frapper à la porte d’amis à Irvine, qui m’ont accueilli pour la nuit.
Tous n’ont pas eu autant de chance ce soir-là. Laguna Beach est située au débouché du Laguna Canyon, une gorge qui s’interrompt au moment où elle atteint l’océan. La route qui serpente au fond du canyon s’était transformée cette nuit-là elle aussi en un torrent qui avait coupé la petite ville en deux. La digue en béton qui longeait la plage avait été balayée par l’eau en furie. Un homme qui occupait un logement de fortune dans le canyon avait été emporté par le flot ; son corps fut retrouvé le lendemain (*). Dénouement plus heureux, quelqu’un avait agrippé au passage un ballot qui passait au fil du courant pour découvrir qu’il s’agissait d’un bébé dans un couffin.
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(*) The great El Niño of 1997-98, and what it means for the winter to come : « The same storm also aimed a devastating mudslide into homes in Laguna Beach. Glenn Alan Flook, a lanky, athletic 25-year-old, had taken refuge in a neighbor’s home when it was struck by mud. He was thrown through a window as the room collapsed; his body was found wedged beneath a mobile home 50 yards downstream. », Los Angeles Times, 22 août 2015
Les traductions en temps réel, ça existe déjà. https://m.youtube.com/watch?v=iFf-nQZpu4o&pp=ygUedHJhZHVjdGlvbiB0ZW1wcyByw6llbCBhdmVjIElB