La fuite en avant, par Rodolphe

Billet invité.

Le discours du président de la République devant le congrès laisse craindre le pire tant les signes d’une fuite en avant sécuritaire sur le territoire national sont patents. L’arsenal répressif serait renforcé de toutes parts : qu’il s’agisse pour les policiers d’élargir leurs droits à user de leur arme, de l’évolution de la Constitution qui verrait encore l’exécutif renforcé dans le cas de l’état d’urgence, de la facilité accordée à la déchéance de la nationalité française, du renforcement des effectifs policiers, ou du maintien de ceux de l’armée jusqu’en 2019, l’ensemble des mesures annoncées ce soir vont dans le même sens : le tout sécuritaire et par là la restriction des libertés et des contre-pouvoirs.

Est-il besoin de rappeler que les kamikazes ne craignent pas la mort, et encore moins la Justice, que l’on ne va pas interdire la vente de bonbonnes de gaz sur tout le territoire, que tout cela est au mieux une illusion, au pire un pas supplémentaire vers une société de la surveillance généralisée ? Car qui peut croire que ces dispositions puissent atténuer sensiblement le risque terroriste ? Vigipirate ? Inutile. Vigipirate renforcé ? Inutile. Plan rouge ? Inutile. Les « lois scélérates » de 1893 n’ont pas empêché l’assassinat du président Carnot en 1894.

Des chimères ensuite, la surveillance aux frontières de l’Union : « la protection des frontières extérieures de l’Europe » la protégera de sa « déconstruction ». Si le rétablissement des contrôles aux frontières nationales est comme on le sait, poreuse, que dire de celle des frontières extérieures. Pense-t-on vraiment que la Grèce exsangue, que l’Italie dépassée, que la Slovénie assaillie ou la Hongrie barricadée sont en mesure d’exercer un contrôle efficace de centaines de milliers de personnes ?

Mais la surprise réelle du discours réside dans la formule « Ces mesures se traduiront par des dépenses supplémentaires, mais je considère aujourd’hui que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité. » Est-ce la mort de l’austérité budgétaire qu’annonce ainsi le président ? Si oui, on se souviendra que c’est la terreur venue de l’extérieur qui nous a libéré du nœud coulant qui nous assaillait. Si non, le pire est à craindre, les dépenses sécuritaires supplémentaires devront être compensées ailleurs. L’exécutif doit espérer que la BCE, l’Allemagne et la finance internationale accordent des largesses à la France par empathie, puisqu’en bombardant la Syrie elle œuvre pour la défense commune. Pas sûr qu’à Francfort, Bruxelles ou Berlin on fasse la même analyse.

Sur le plan géopolitique, quelques signes plutôt positifs peuvent être relevés. Par exemple, le désir de construire une seule et unique alliance comprenant la Russie relève du bon sens, tout comme la demande de réunir le conseil de sécurité de l’ONU, évidemment. Pas un mot semble-t-il sur l’Iran. Sur Al-Assad, une inflexion : « il n’y a pas d’issue avec lui » certes mais cette formule diplomatique laisse une porte entrouverte à des négociations comprenant le gouvernement syrien actuel, puisque F. Hollande ne dit plus que son départ est une « condition préalable à l’ouverture des négociations » prenant acte de l’isolement à peu près total de la France sur cette question.

Mais surtout que d’angles morts dans ce discours ! Quid des circuits de financement des organisations terroristes, quid de l’accueil des réfugiés, quid de la question sociale en France ? Où sont les mesures choc, les plans Marshall, où même les propos engagés ?

A l’heure où ces lignes sont écrites, le Parlement débat. Il est à craindre que les considérations tactiques l’emportent. Il n’y aura pas d’union nationale autour des lignes portées par le Président. Manque de hauteur, manque de vision, trop de questions sans réponses, trop de flou dans le discours. Aux arguties succèderont les pinaillages. Et nous croiserons les doigts, silencieusement, dégoûtés par le spectacle offert par nos responsables avant de céder aux sirènes des réponses toutes faites de la bête immonde.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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