Billet invité.
Lorsque de tels évènements surviennent, dès que la surprise cesse, les premiers instants sont au silence et à l’émotion.
Puis vient le temps des analyses, qui sont une nécessité impérieuse pour comprendre et éviter de nouveaux faits.
Pour être très clair, ce temps de l’analyse n’est pas encore venu sur les évènements eux-mêmes, à l’heure où les détails nouveaux surgissent sans cesse, au milieu des rumeurs, des doutes, des peurs, mais aussi des récupérations politiques ou des réactions viles et indignes.
C’est encore moins le temps de l’analyse sur ce qui s’est exactement passé, que l’on n’est pas encore sûr que tout soit terminé, le risque d’un groupe ou de jihadiste échappé encore actif n’étant pas écarté.
Pour autant, ces attentats ne sont pas les premiers, ni par leurs cibles (la France), ni par leur bilan, ni par leurs modes opératoires (Mumbai 2008). Pire, depuis 10 mois et les attaques de Charlie Hebdo et de l’hypercasher, les projets d’attaque visant la France ont été nombreux et déjoués par miracle ou manque de préparation (Villejuif, Thalys…).
Dès lors, la question peut se poser des moyens mis en œuvre jusque-là et des perspectives de résultats à venir.
Rappelons que l’objectif d’un attentat jihadiste en France obéit à une stratégie claire :
– à court terme forcer par la peur la France à cesser ses attaques contre les mouvements jihadistes, et son soutien aux frappes aériennes US comme israéliennes – il s’agit de peser sur la politique étrangère française
– à moyen terme générer un chaos, en déclenchant des tensions communautaires aggravées par la crise économique (les secteurs visés peuvent être la finance, le pétrole, mais surtout le tourisme comme en Tunisie, en Egypte) – c’est la stratégie qui a réussi en Irak et permis la renaissance de l’EI (à l’époque EII)
– à long terme faire survenir le choc final entre la communauté soumise à la loi de Dieu (Shari’a) et le reste de l’Humanité voué à se soumettre ou à disparaître.
S’agissant d’une nouvelle attaque, dix mois après une précédente attaque de grande ampleur, l’enjeu est sur le moyen terme d’exporter la guerre civile pour recruter et déstabiliser un pays qui est perçu comme un ennemi majeur (par ses valeurs et ses actions) et vulnérable (du fait de ses doutes, de ses crises et ses tensions internes).
Alors que nous encaissons le choc, les jihadistes sont déjà en train de préparer la prochaine attaque, profitant de l’analyse des informations pour améliorer encore les techniques et l’impact. Ils savent que la déstabilisation recherchée ne surviendra qu’en multipliant à intervalles réguliers les attaques, et notre surréaction ne peut que les encourager à poursuivre leur effort contre la France.
Il s’agit donc de résister aux jihadistes en leur refusant l’atteinte de leurs objectifs : les tensions communautaires dans le but de créer un clivage non-musulmans / musulmans, qui leur donnerait légitimité et nombre.
Au-delà de la nécessité, aussi vitale que peu évidente alors que l’émotion est énorme, d’éviter tout ce qui peut diviser la communauté nationale et créer des tensions confessionnelles, justement celles que recherchent les jihadistes, il s’agit de trouver la solution à plusieurs problèmes qui se cumulent pour former un ennemi nouveau, et d’une dangerosité insoupçonnée, à définir une stratégie qui ne soit pas dans la réaction ou dans la protection immédiate mais bien dans la prévention.
Et au lieu de s’exciter par des déclarations incantatoires sur la « guerre » alors que nous n’en avons ni la volonté, ni les moyens suite aux politiques ordo-libérales imposées en Europe, il faudrait commencer par s’interroger sur la stratégie à adopter, face à une opposition globale, intérieure comme extérieure, et ensuite s’interroger sur ce que nous pouvons faire pour vaincre cette opposition, ce qui implique de cesser de ne rechercher que des succès éphémères qui l’alimentent et la renouvellent.
Le jihadisme, surtout celui de l’EI, se nourrit du mal-être commun à une espèce qui entrevoit son destin funeste : être la cause de sa propre fin.
Mais il se nourrit aussi dans notre propre pays de ce double discours, de ce double standard, qui nous fait proclamer et chérir en parole des valeurs et des principes (Liberté, égalité, fraternité – droits et libertés fondamentaux) que nous ne pratiquons pas réellement, et que nous n’hésitons jamais à écarter ou ignorer avec la plus parfaite mauvaise foi pour satisfaire à la rapacité de nos industries et la bêtise de nos dirigeants, tous sous domination d’une finance internationale hypertrophiée qui a pris en otage l’Occident entier.
Commençons donc par cesser de différencier les actes terrorismes des autres actes délictueux. C’est le plus dur, mais pourtant c’est là que réside la première solution pour éviter la perpétuation du jihadisme, le recrutement, la radicalisation de ses adeptes et la reproduction de ces attaques.
Non, l’armée n’est pas l’instrument pertinent pour lutter contre le terrorisme à l’intérieur de notre pays. Non les mesures d’exception ne sont pas la bonne réponse à ces attaques que le degré de préparation nécessaire rendent pour l’instant suffisamment espacées dans le temps.
Rester ce que nous sommes, opposer notre détermination, notre force de caractère, notre envie de vivre selon nos choix, et notre refus de la terreur que l’ennemi voudrait nous imposer : voilà ce qui devrait guider un gouvernement digne de ce nom.
On constate que l’on en est loin. De lois scélérates en état d’urgence (dont l’utilité est marginale et qu’il est d’ores et déjà envisagé de prolonger), de situations d’exception en récupérations politiques, on ne peut que déplorer que nos dirigeants, trop heureux de faire oublier là leurs échecs intérieurs et leurs renoncements à l’extérieur, vont tout faire pour dramatiser la situation, devenant par leurs actes les propagateurs d’une terreur que les jihadistes veulent nous imposer pour nous diviser et nous rendre différents de ce que nous sommes.
Mais déplorer la bêtise, la bassesse, la cécité et la corruption de nos dirigeants politiques n’est plus suffisant face à des attaques qui nous frappent en priorité, nous les anonymes, les simples qui n’avons d’autre ambition que de vivre heureux et de voir grandir nos enfants dans un monde meilleur que celui dans lequel nous sommes nés.
A nous aussi ces attaques sont des injonctions à réfléchir et à agir.
Car nous pouvons tous, chacun dans notre vie et nos actions quotidiennes lutter contre ce défi majeur qui nous est imposé par le jihadisme, issu d’Al Qaida, de l’EI ou de tout autre mouvement.
En refusant la division, l’amalgame, la stigmatisation, comme les discours faussement martiaux et les postures provocatrices, comme la lâcheté de nos dirigeants face aux drames qui frappent les peuples du Proche-orient qui deviennent les jouets de guerres inacceptables entre puissances en mal de puissance, comme face aux dictateurs qui parce qu’ils insultent chaque jour par leurs actes nos valeurs et ce que nous sommes, ne peuvent jamais, jamais être nos alliés.
Enfin, en refusant de changer nos vies, nos opinions et nos votes, en résistant au traumatisme et à la peur que les jihadistes veulent nous infliger, par la pensée, la réflexion et la raison, parce que toute pensée conçue avec un autre organe que le cerveau n’est pas une pensée, et que toute réaction sous le coup de l’émotion et du choc ne peut qu’être mauvaise.
Bref, comme les Londoniens sous le Blitz, comme les Madrilènes après Atocha, comme les Britanniques après les attentats de 2005, notre lutte sera de tout faire ensemble pour rester normal.
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…