Ouvert aux commentaires.
Tout va mieux quand les marchés ignorent tout !
Les régulateurs américains se posent la question de savoir si c’est le self-trading, le fait qu’une firme s’achète et se vende à elle-même, par algorithmes automatisés interposés, qui produit les nombreux krachs instantanés que l’on observe en ce moment. Ainsi les 35 krachs sur le marché du brut West Texas Intermediate, jusqu’ici en 2015, ou les violentes oscillations pendant 12 minutes du marché des Treasury bonds américains en octobre 2014.
Le self-trading n’y est probablement pour rien et le responsable est, paradoxalement, une bien meilleure évaluation du marché par les « algos » que ce n’était le cas pour les opérateurs humains. En feignant être prêts à acheter ou vendre à une multitude de prix différents, pour annuler ensuite la transaction proposée, les algos obtiennent en effet une excellente connaissance du marché dans sa totalité : une véritable cartographie.
C’est cela qui conduit à des effondrements du marché : les algos parviennent à véritablement deviner avec justesse si le prix est à la hausse ou à la baisse et… se précipitent alors en masse dans la direction qui rapporte.
On évoque souvent à ce propos le mimétisme comme explication du comportement des acteurs sur le marché boursier mais le fait est que tant que ceux-ci étaient exclusivement des êtres humains, un comportement mimétique ne s’y observait qu’en temps de crise : dans le krach ou dans la bulle suivie du krach quand la réserve d’acheteurs potentiels est épuisée. Robert Shiller, Prix Nobel d’économie 2013, qualifie à raison la bulle financière de « machine de Ponzi spontanée ».
J’ai pu montrer en 2006, à l’aide d’une simulation multi-agents de la Bourse (*), que la condition de stabilité d’un marché boursier est précisément qu’aucun mimétisme ne s’y manifeste. Un marché stable est celui où la connaissance de l’évolution du marché est nulle : pas meilleure que lors d’un tirage à pile ou face. La simulation montrait que toute connaissance de la direction du marché digne de ce nom, c’est-à-dire supérieure à 50%, débouchait rapidement sur un krach si le marché était baissier et une bulle suivie d’un krach s’il était haussier.
À l’époque où les opérateurs à la corbeille étaient encore en majorité des êtres humains, leur connaissance du marché se limitait à leur propre carnet d’ordres, ainsi qu’à l’offre et la demande des autres opérateurs en fonction du dernier prix, et était insuffisante pour deviner si le marché était haussier ou baissier. Il était déjà possible d’annuler des transactions, mais il fallait pour cela qu’un « coureur » traverse la corbeille pour réclamer l’annulation au desk de la contrepartie, une manière de faire qui ne permettait pas que l’on annule 98% des transactions comme le font couramment les algos d’aujourd’hui.
Le fait que, en leur temps, les êtres humains, en se trompant une fois sur deux, ignoraient où allait le marché, réduit à néant bien entendu le credo de la « science » économique selon lequel le marché « connaît le prix objectif » – si seulement on le laissait opérer sans entrave. Ce que ma simulation montrait – mais le bon sens ne suggère rien d’autre – c’est que « le marché » ignore tout et qu’entre acteurs ne sachant rien, aucun mimétisme ne peut se manifester, et qu’il en va bien mieux ainsi, puisque dès que le marché « sait », il s’effondre aussitôt. C’est ce que prouvent aujourd’hui les algos qui, sachant ce qui va se passer – sans se concerter, ni même se copier l’un l’autre : leur anticipation correcte leur suffit amplement – provoquent des krachs à répétition.
Comment remédier à la situation ? Pénaliser les annulations de transactions par une légère amende, les krachs instantanés provoqués par les algos disparaîtront comme par enchantement !
================================================
(*) Jorion, Paul, « Adam Smith’s ‘Invisible Hand’ Revisited. A Simulation of the New York Stock Exchange », Actes du Premier Congrès Mondial de Simulation des Systèmes Sociaux, Kyoto, août 2006, Berlin : Springer-Verlag
Laisser un commentaire