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Si nous ne croyons pas à l’immortalité de l’homme, il n’est de diversion qui ne soit capable de nous faire dérailler d’un véritable idéal car nous faisons feu de tout bois pour tenter d’oublier que nous sommes mortels. Et si nous croyons au contraire à l’immortalité future, nous ne savons trop, en attendant, comment occuper le temps qui nous est donné ici-bas. Si bien que l’observation du genre humain révèle une espèce qui, pour une raison ou une autre, s’active fébrilement à tuer le temps.
Nietzsche écrit ainsi dans « Schopenhauer éducateur » :
« … car l’objectif de tous les agissements humains est par le biais de la distraction de ses propres pensées, de cesser d’être conscient de la vie. » (Nietzsche [1873-76] : 50)
Et, plus haut déjà dans cette même « considération inactuelle », il écrivait :
« [Schopenhauer] nous apprend que ni les richesses, ni les honneurs, ni l’érudition ne peuvent tirer l’individu de la dépression profonde qu’il ressent devant l’insignifiance de la vie et comment l’aspiration à ces biens recherchés n’acquiert de sens qu’à travers un but global qui élève et transcende : acquérir du pouvoir pour aider l’évolution de la physis et pour être un temps le correcteur de ses folies et de ses inepties » (ibid. 28-29).
Même rectifier le monde ne permet peut-être donc pas d’échapper à la dépression qui demeure le lot le plus commun de l’espèce.
Freud, grand lecteur de Nietzsche, écrirait un demi-siècle plus tard dans Malaise dans la civilisation :
« L’être humain cherche alors à ses tourments des diversions par l’usage des drogues, la production d’illusions collectives rassurantes comme la religion [P. J. : Freud qualifie celle-ci de « déformation chimérique de la réalité » générant des « délires collectifs », ibid. 25] et, de façon plus positive, par la sublimation qu’autorise l’expression artistique ou intellectuelle. » (Freud [1929] 1970 : 25).
Il n’y a donc eu jusqu’ici dans l’histoire humaine selon Freud que de la dépression avec deux manières de tenter de s’en secouer : d’une part, l’anesthésie par la drogue ou le refuge dans l’illusion, et de l’autre, l’agitation, qui existe alors sous deux formes qu’il distingua d’une manière qu’on peut juger assez artificielle : la forme « pas très chic » que représente par exemple le football et la forme « chic » que constitue l’art, mais il faut se souvenir pour ce dernier, de ces photos de l’atelier des grands sculpteurs du XIXe siècle, et observer ces hommes à barbiches, pipes et lorgnons, mêlés à des filles nues pour comprendre qu’il était davantage question ici de copulation – fantasmée dans le meilleur des cas – que d’élévation de l’âme.
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Friedrich Nietzsche, Schopenhauer éducateur, in Considérations inactuelles [1873-76], Mercure de France, 1922 (Å’uvres complètes de Frédéric Nietzsche, Vol. 5, tome 2, pp. 7-43)
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, trad. Ch. et I. Odier [1929], Revue française de psychanalyse, t. XXXIV, janvier 1970 : 9-80
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