Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Je suis administrateur d’un réseau national de développement agricole et rural dont le fonctionnement se revendique de l’émancipation de ses membres par l’éducation populaire, au sens avancé dans les jours heureux de la fin de la dernière guerre ; pas dans le sens de celle qui s’échoua quelques années plus tard dans les maisons de la culture de Malraux.
Où est le savoir nécessaire à l’émancipation ? Qui le mobilise ? A l’aide de quels outils ? Au profit de qui ? De quelle réalité nous parle-t-on quand on nous serine « soyez réalistes, inclinez-vous » ? Voilà des questions qui sans cesse nous travaillent dans nos rencontres avec les chercheurs, les ingénieurs mais aussi l’administration, les ministères, les parlementaires. L’ensemble de nos adhérents sont des « résistants » aux injonctions d’une politique agricole publique incapable de se réformer et dont les résultats finissent par indisposer ceux même pour la satisfaction desquels elle fut bâtie.
Il nous faut de l’assurance, de la confiance en soi, pour affronter cette doxa si cruelle qui trouve dans chaque texte législatif, dans chaque « déclinaison française » des décisions européennes, l’occasion d’assurer ses positions. Cette confiance, cette assurance, quelques uns en sont sans doute dotés plus que d’autres, mais tous nous savons qu’elle demande à être confortée sans cesse.
La plupart d’entre nous sommes du genre à savoir répondre à leur voisin, à leur beau-frère : C’est pour ça que je le fais ! Et nous sommes redevables de cela à nos réussites économiques certes, mais aussi à la fréquentation constante d’ « intellectuels » tels que Paul Jorion. Dans tous les domaines. Si nous fréquentons les livres et le blog de Paul, comme ceux d’autres, ce n’est pas par enthousiasme ou par besoin d’admirer mais bien parce que de nombreuses questions, y compris très triviales, restent sans réponses satisfaisantes et que nous cherchons à nous « sortir de la bouteille à piéger les mouches »
Quel hommage rendre à Paul en ce moment si particulier où nous sentons bien que de mauvaises manières lui sont faites ? Lui montrer que bien sûr on peut se servir de ses livres comme d’une boîte à outils et affirmer que nous le faisons avec profit.
Et lui en donner un exemple, dont voici le contexte :
La semaine dernière nous nous sommes réunis une bonne quinzaine de paysans et nos interlocuteurs habituels. Nous étions plus de trente pour aborder sous l’angle de la multifonctionnalité de l’agriculture l’usage d’un des produits non alimentaires de nos fermes : l’accueil dit « social » de personnes qui, pour une raison ou une autre, demandent à rompre avec le milieu urbain.
Chaque année nous échangeons autour de nos pratiques et cette année le thème central de ces rencontres a été la fixation du prix des accueils.
Nous nous sommes confrontés notamment à des interventions de deux universitaires (une géographe et un socio-économiste proche de Bernard Friot) Personne n’a bronché, alors que notre quotidien est d’arracher patates et poireaux, traire et nourrir chèvres, vaches ou brebis. Les retours sont même plutôt enthousiastes. Les débats intenses débouchèrent sur des éléments de pratiques.
J’ai lu le premier matin le texte que vous trouverez ci-dessous en l’état quasi natif : rien d’extraordinaire là dedans, pas un mot que vous n’ayez lu 1000 fois ici, pas une idée dont il n’a été débattu 100 fois sur ce blog par Paul, François, Dominique, Roberto, Marie-Paule et tant d’autres. Aucun talent particulier, juste la certitude que c’est discutable, mais indispensable.
Il ne faut pas renoncer, nombreux sont ceux qui continuent à lire et à remercier que d’autres leurs permettent de s’élever au dessus de la mêlée où ils se tiennent quotidiennement.
Ces journées n’auraient pas pu se tenir avec ce contenu il y a seulement 2 ans. Le niveau monte, et pas seulement celui de la mer !
Pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ? Quel est le sujet ? Pour calculer un prix de séjour ? Pour calculer le prix d’un séjour ?
Disons plus sûrement pour parler de « La justice dans les échanges »
Nous savons approximativement comment sont construits nos coûts de revient, approximativement, car suivant l’école comptable à laquelle nous nous référons, nous entrons tel ou tel élément dans telle ou telle colonne.
Nous sommes conscients, tout du moins je l’espère, que la lecture économique n’est une science ni exacte, ni neutre. Que c’est une technique au service d’une politique.
Plus fort cependant, nous ignorons comment sont construits les prix auxquels sont vendus les produits de nos activités. Et je ne parle pas seulement, vous l’avez bien compris, des séjours dans nos fermes.
Il n’est que voir pour s’en persuader défiler si violemment, cet été, les paysans réclamant des « prix rémunérateurs » et le désarroi pathétique des gouvernants devant la question soulevée.
Nous rencontrons au moins trois façons d’expliquer la formation des prix et du coup, sans doute, trois possibilités d’agir si d’aventure la situation que nous vivons ne nous convient pas.
Soit nous acceptons la religion du marché et nous faisons en sorte de pouvoir y survivre. C’est chacun sa gueule, au meilleur le pompon ! Se trouvera-t-il quelqu’un ici pour soutenir cette position ? Je donnerai plus loin quelques éléments de réflexion auxquels il faudra alors répondre.
Soit nous pensons que nos revenus doivent être maxima, car c’est là que se niche la valeur de notre travail, et nous devons nous battre pour collectiviser les outils de production. Car ce sont leurs détenteurs qui fixent les salaires. En m’aventurant un peu, je pense que Nicolas C. nous amènera sans doute à réfléchir dans cette voie.
Soit nous pensons que le prix d’une chose est le reflet de ce à quoi nous consentons, de plus ou moins bon gré. Et alors nous devons chercher la voie de la mesure dans le prix.
C’est ce à quoi je vous propose de réfléchir maintenant, sachant donc que durant ces deux jours ce point de vue sera soumis à la question.
Quelle est l’explication la plus commune de la construction des prix ?
La seule enseignée car considérée comme « naturelle » : Le prix est fils de Concurrence Pure et Parfaite.
Cette doxa économique dominante veut que le prix s’établisse à travers « la loi de l’offre et de la demande ».
Un mécanisme naturel ferait se rencontrer les vendeurs et les acheteurs, et les prix s’établiraient comme s’équilibrent les plateaux d’une balance Roberval. Toutes interventions (entraves ou avantages, protectionnisme ou dumping) sont déloyales car opposées à la meilleure allocation possible des ressources.
Dans ce cadre idéologique, des politiques comme la PAC sont liées à des « défaillances de marché » et doivent être très temporaires, le marché « naturel » devant reprendre sa place « naturelle » le plus rapidement possible. Le terme « naturel » fait ressentir l’idée forte qui est derrière une telle vision : les rapports de force n’existent pas dans une bonne économie.
En forçant la métaphore nous pourrions dire que c’est la loi de la gravité qui est responsable de l’établissement d’un prix. Du coup c’est aussi la nature des choses que certains soient plus riches que d’autres, que certaines tâches soient toujours assurées par les mêmes. La nature récompense les meilleurs travailleurs, les meilleurs entrepreneurs.
Il n’y a pas de dynamique dans les rapports sociaux, du moins elle n’est pas nécessaire.
Ceux qui acceptent cette loi en sont souvent les premières victimes. (Les paysans les plus libéraux dans la rue réclamant des prix rémunérateurs).
Ce modèle économique possède un catéchisme, une doctrine de la foi définissant en 5 points la Concurrence Pure et Parfaite.
Toutes ces conditions sont assorties de l’hypothèse que l’agent économique est rationnel. Et l’agent économique est en effet très rationnel puisqu’à l’exemple de VW toutes les entreprises, et surtout les plus importantes, passent l’essentiel de leur activité de recherche à s’exonérer des conditions de la Concurrence Pure et Parfaite.
N’allons pas plus loin que ça sur cette façon de voir.
Toutefois ne perdons jamais de vue pendant ces deux jours que c’est la religion largement majoritaire en ce pays comme dans bien d’autres.
Pour donner mon point de vue sur la question de la construction du prix en accueil social, j’ai choisi de procéder par analogie avec la question du prix en circuits courts de produits alimentaires. Cette question m’est en effet plus familière, et surtout, c’est en essayant d’y répondre que m’est apparue une explication qui peut, j’en suis persuadé, nous soutenir dans le travail de ces journées.
Quand nous nous sommes intéressés à la question de l’accès pour tous à la nourriture, nous avons fait un constat : le système agro-industriel ne pouvait mettre la nourriture à disposition de tous sans intervention des pouvoirs publics. D’où la croissance de l’aide alimentaire et du crédit à la consommation.
Puis lors d’un contact avec des usagers d’un centre social nous avions constaté que, producteurs en vente directe, nous vendions à des prix qui rendaient nos produits inaccessibles pour eux. A l’issue de cette rencontre l’un de nous, maraîcher, a fait remarquer que dans la communauté d’origine de sa compagne, en Inde, personne ne proposerait à la vente de la nourriture que d’autres ne pourraient acheter.
Une telle affirmation va à l’encontre de la doxa économique dominante que j’évoquais à l’instant.
Nous le voyons bien : le comportement des hommes semble « résister » à la loi puisque d’une part, ici, l’intervention publique est nécessaire pour « corriger » cette loi et que d’autre part, ailleurs, certains s’exonèrent du profit maximum comme objectif économique.
Si cette loi ne nous permet pas de saisir le mécanisme de la formation des prix, quels sont alors les facteurs autres qu’économiques qui interviennent dans la constitution du prix ?
Un anthropologue – Paul Jorion, pourquoi ne pas le nommer ? – à la suite de l’observation des ventes de poissons en Bretagne et en Afrique il y a quelques années, avait fait le même constat et en avait tiré quelques enseignements pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la vente de gré à gré. Je pense que nous pouvons à notre tour en tirer profit. Et je vais tenter de vous les résumer.
Pour qu’il y ait un marché, il faut qu’il y ait un acheteur et un vendeur. Pour qu’il y ait un acheteur, il doit avoir les capacités d’acheter et conserver ces capacités.
Pour qu’il y ait un vendeur il faut que la vente lui permette de survivre durablement.
Redisons bien que nous souhaitons que l’un et l’autre voient ces conditions remplies durablement.
Le prix à payer pour un produit va s’établir alors entre deux bornes. L’une, inférieure, est le coût de revient du bien vendu : vous ne pouvez durablement vendre en dessous de ce prix sans disparaitre du marché.
L’autre, supérieure, est le prix au dessus duquel la subsistance de l’acheteur est mise en cause, au-dessus duquel il ne pourra durablement acheter.
Vous ne pourrez pas vendre au dessus de ce prix sous peine de voir disparaitre l’acheteur.
C’est ce qu’exprimait sous une autre forme le maraicher tout à l’heure.
Entre ces deux bornes l’échange existe. En deçà ou au-delà de ces bornes, le marché s’évapore par disparition d’une des parties. Entre ces deux bornes l’échange existera, plus ou moins satisfaisant pour l’un ou l’autre.
Il revient aux deux parties d’évaluer ces bornes ; la sienne et celle de son « partenaire ». Il ne faut pas que l’acheteur veuille faire descendre le prix en-dessous du prix de revient du vendeur. Et inversement le vendeur ne peut pas espérer un prix supérieur au prix de subsistance de l’acheteur.
Les intérêts des partenaires sont antagonistes mais solidaires. Ce n’est plus de la mesure du prix des choses dont il est question mais de la mesure dans le prix des choses.
Entre deux bornes se forme le prix par la mobilisation des ressources de chacun, dans un rapport de forces auquel participent les quantités d’offre et de demande mais pas seulement, et sans doute pas surtout.
Ce sont par exemple la bonne renommée des uns et des autres, le rang social des uns et des autres, les relations de parenté, même éloignées, la fatigue ou l’impatience d’une des parties, des aléas de santé et bien d’autres éléments « subjectifs », non quantifiables facilement.
L’on pourrait dire que sur un marché, acheteurs comme vendeurs ont au moins deux impératifs : vendre ou acheter à un prix permettant leur survie, et faire bonne figure, tenir son rang.
Paul Jorion observe la façon dont s’établissent les prix dans les ventes de gré à gré de poissons sur les campements côtiers des pécheurs nomades d’Afrique de l’Ouest. Ce sont les femmes qui achètent les poissons à l’arrivée du bateau. Pour les revendre.
Si le pêcheur se met en tête de vendre une proportion importante des captures à une seule acheteuse au prétexte qu’elle pourrait offrir un prix plus élevé, la colère des autres femmes se manifeste. Cette colère se justifie par la nécessité pour ces femmes d’écouler une quantité minimum de marchandise…. afin de se procurer, grâce à l’argent obtenu, les produits indispensables à la survie du ménage. Le pêcheur y cédera car, plus que son revenu immédiat, c’est son statut à terme dans la communauté qui lui importe.
Des mécanismes du même ordre sont mis à jour dans les échanges entre pêcheurs côtiers et mareyeurs dans le Morbihan, avant l’instauration de la vente sous criée.
L’économie des sociétés humaines a été longtemps de trocs et d’échanges non marchands. Ce serait l’agriculture et la sédentarisation qui, en permettant l’accumulation, ont amené à diviser le travail.
Si l’on fait fi, bien entendu de la division sexuée du travail qui, sur cette question, méritera sans doute un développement particulier, et je ne doute pas qu’Agnès T… tout à l’heure s’en charge.
Le travail se divisant, il y eut un jour un cordonnier et un maçon, l’un ne pouvant faire des maisons, l’autre ne pouvant faire des chaussures, l’un ne voulant dormir dehors, l’autre ne souhaitant pas marcher nu pieds.
Le cordonnier commande une maison et, pour rémunérer le travail, donne une paire de chaussure ? Probablement pas !
20 000 paires de chaussures ? Et qu’en ferait le maçon ?
C’est ainsi que naquit la monnaie. Permettant de rendre commensurables des choses trop différentes
C’est ainsi aussi que fut établi le premier prix : Combien de chaussures pour une maison ?
Est-ce la quantité de travail contenue dans l’un et l’autre de ces objets qui va servir de critère à l’évaluation ?
Le prix n’exprime pas la valeur des produits, mais seulement le besoin réciproque que chacun a des œuvres de l’autre.
Un exemple contemporain suffira à montrer cela. Aujourd’hui quand vous achetez un tracteur, 40% du prix va rémunérer des logiciels. Impossible de dire que c’est une quantité de travail contenue dans ces logiciels qui est ainsi évaluée. Par contre si l’on se pose la question de ce qui nous oblige à consentir à cela, de ceux qui nous obligent à consentir à cela, alors nous voyons apparaître encore ce besoin réciproque.
Et pour le coup le prix est là l’illustration de la forte dissymétrie des besoins de réciprocité ! Car il n’y a pas là une bonne mesure dans le prix puisqu’une partie non négligeable de la collectivité ne peut accéder au bien. Quand on ajoute que la dissymétrie obtenue est soutenue par des politiques publiques coûteuses nous mesurons notre faible poids, pour ne pas dire notre absence, dans la détermination de ce prix.
Ce que nous devons rechercher c’est la mesure dans l’échange, pas la mesure des biens échangés. Et ça fait toute la différence.
La volonté de faire disparaitre les éléments « irrationnels » de l’échange a conduit à mettre en place des marchés au cadran, « moderniser, rationnaliser, émanciper ».
Marché au cadran qui, en rendant anonymes les vendeurs et acheteurs, devait permettre aux premiers de bénéficier à plein de la concurrence pure et parfaite. Or que constatons nous ? Le contraire, systématiquement le prix s’établit et se maintient à un niveau très proche du niveau de survie du vendeur.
L’anonymat de la construction des prix ressemble à une spoliation de biens, en tout cas c’est un instrument de la disparition des paysans.
Les rapports de forces naissent de la division du travail. C’est la division du travail qui oblige à facturation et à établissement d’un prix. Le prix est la face visible du rapport de forces, rien d’autre, pas de quoi s’en rendre malade.
Le rapport de force n’est que l’expression de la force que nous mettons à vivre ensemble, de l’appétit que nous avons à vivre ensemble, à affirmer la nécessité de ce besoin d’échanges en lieu et place du besoin d’échanger des biens.
L’homme est un animal social. Un vieil animal social.
Bien entendu, plus vous divisez le travail, plus vous exacerbez les rapports de force, plus vous rendez leur maitrise complexe. Jusqu’en arriver à la situation au 19ème siècle, d’une division telle que ces rapports de force ont pris la figure de la lutte des classes. Et la situation n’a cessé de s’aggraver.
A contre courant de cette exacerbation de la division du travail, l’accueil social dans les fermes participe d’une tentative de réintégration de la question « sociale » dans l’économie agricole.
Nous accueillons, non pas parce que nous sommes des « accueillants », mais parce que nous sommes des paysans, des ruraux, des hommes et des femmes, que nous rendons service, aujourd’hui, comme hier, à des voisins.
C’est la distance entre les parties de l’échange, distance incarnée par le travailleur social à qui tu factures ton travail qui te mène à confondre prix et valeur car la disparition du gré à gré a fait disparaitre les rémunérations non monétaires.
Et c’est ce qui s’exprime, plus ou moins formalisé, quand l’un de nous dit : je fais de l’accueil « sans prix », « sans conditions ». Et c’est aussi ce qui explique le malaise que certains éprouvent devant une facture d’accueil à 100 euros la journée : « oh certes celui-là il est malin, mais aux dépends de qui ? »
C’est parce que nous nous n’avons plus nos vieux, nos handicapés, nos pauvres auprès de nous ; parce que nous nous sommes séparés d’eux ; parce que nous avons divisé le travail ; c’est pour cela que les travailleurs sociaux sont là. Il faut savoir ce à quoi nous avons consenti hier pour avoir une idée de ce à quoi nous consentons aujourd’hui, et de ce à quoi il nous faudra consentir demain.
Car le prix révèle notre « consentement à payer ». C’est le « prix à payer » pour pouvoir vivre ensemble Et quand le prix est bâti sans cette mesure dans le prix que nous revendiquons, alors certains ne peuvent plus vivre ensemble, ne plus vivre avec nous. Leur voix s’éloignent, leurs voix s’éteignent.
Et c’est en découvrant que nous n’avons plus de voisins que nous avons cherché une agriculture durable. C’est en disant qu’il nous importe plus d’avoir des voisins qu’une ferme compétitive que nous instituons la durabilité en agriculture. Nous pouvons renoncer à des rémunérations importantes, à des modes de vie dispendieux, pour conserver des voisins.
Car cela n’a pas de prix. Ce à quoi nous accordons de la valeur n’a pas de prix.
Il est inutile de chercher dans le prix d’une chose la représentation d’une valeur : la valeur n’est pas là. Le prix n’est que la traduction d’un rapport de forces entre deux parties, il n’est pas l’expression d’une quelconque valeur, il n’y a pas de valeur cachée derrière un prix.
Si nous n’acceptons pas le prix offert pour notre travail, nous ne devons pas dire « je ne suis pas reconnu à ma juste valeur », « je ne suis pas rémunéré à la hauteur de ce que j’estime valoir ».
Reconnaissons simplement que nous n’avons pas construit les positions sociales et politiques, qui nous permettraient d’exiger mieux. Que nous nous sommes sans doute dérobés devant le rapport de force. D’ailleurs les sociétés ou l’écart entre riches et pauvres est minima, sont les sociétés où le taux de syndicalisation est le plus élevé.
Concluons :
Cette approche sans doute peu habituelle de la construction des prix nous indique ce nous ne devons pas attendre d’un prix, ce qu’un prix ne peut pas nous dire : la reconnaissance de la valeur de nos activités. Il ne faut pas perdre notre temps à chercher sous le lampadaire ce que nous avons perdu de l’autre coté de la rue.
Mon point de vue à travers l’expérience de la vente directe et de l’accueil social est que pour obtenir un prix satisfaisant, je dis bien : satisfaisant, il faut se consacrer à la compréhension des deux bornes évoquées plus haut entre lesquelles se fabrique le prix.
L’une nous est sans doute plus familière ; celle en dessous de laquelle nous ne pouvons vendre durablement : le coût de production de la marchandise.
Dans ce coût peut être pris en compte l’amortissement du capital investi, et les intérêts d’un prêt éventuel. Devons-nous, pouvons-nous, faire payer cela au client ? Dans tous les cas ? Je pense que la réponse ne sera pas la même pour tous au même instant… et ne sera pas la même pour chacun à tout moment. Devons nous alors proposer une réponse identique pour tous ?
La deuxième borne est celle qu’a à l’esprit le prescripteur de l’accueil, le prix au dessus duquel il ne peut durablement payer les séjours. Quel sont les éléments matériels et immatériels qui rentrent dans ce calcul ?
Sont-ils, ces éléments, les mêmes pour tous ? Le travail social a une histoire que nous évoquerons tout à l’heure, et ce ne sera pas la première fois ; j’ai souvenir en effet que notre rapport à cette activité a bien évolué, depuis Aix il y a 5 ans où nous avions rencontré Saul Karsz, à aujourd’hui, alors que nous allons mener une recherche sur l’accès à l’alimentation, en passant par l’an dernier à Ferrals où les débats ont marqué les esprits de beaucoup, cette histoire de l’accueil social amène les prescripteurs à des positions éloignées les unes des autres : de l’indifférence à des demandes de meilleurs prix, à la participation active à la recherche de ressources complémentaires, en passant par la déploration de ne pouvoir mieux faire.
Pouvons-nous attendre des réponses identiques à nos demandes dans ces conditions là ?
Ce dont je suis certain c’est que nous ne pouvons pas rester sur la touche et exiger qu’on nous passe le ballon !
Merci et bonne journée
Crest, 15 Octobre 2015
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