Entendu ce matin, rapporté par une journaliste de France-Inter, le témoignage d’un officier de ferry à Calais : devant les réfugiés désespérés dont certains se jettent dans l’eau glacée pour tenter de monter à bord -au risque mortel d’être happés par les hélices- l’homme disait qu’il était obligé de chosifier ces malheureux, « sinon, c’est trop dur d’obéir aux ordres ». Une réaction de défense psychologique classique, telle que tous les bourreaux ordinaires en ont. Mais qui est encore plus violente en temps de paix.
Car ici, il ne s’agit plus de tuer volontairement l’autre au nom de je ne sais quelle idéologie, il s’agit de remplir son contrat de travail en obéissant aux directives d’une société commerciale. Au moins certains nazis étaient-ils sincèrement convaincus par leurs délires raciaux, mais ici rien de tel ! Des êtres humains meurent… parce qu’ils perturbent l’activité économique !
Et voilà où nous en sommes. Le-pays-des-Droits-de-l’Homme, la-patrie-des-libertés, celle dont le Premier Ministre en direct de Riyad, ose parler des ‘violences’ chez Air-France, alors même qu’il vient de signer des contrats commerciaux avec l’une des pires dictatures qui soit sur cette planète… Le chef de l’Exécutif prouve à Calais ou à Riyad ce que pèse réellement une vie humaine face aux intérêts économiques.
Et de nous étonner que de jeunes Français nés en France de parents français, aillent faire le djihad en Syrie, ou bien commettent des attentats en France. Et de nous demander comment de telles choses sont possibles, alors même qu’ils sont passés par les bancs de l’école républicaine. Sans doute une partie de la réponse se trouve-t-elle à Calais, sans doute que l’écart entre les principes républicains répétés comme des mantras et notre réalité sociale, devient de plus en plus insupportable.
Tout comme il n’y a pas de choix démocratiques face aux traités européens, il existe de moins en moins de libertés et de droits face à des puissances économiques et financières dont les lobbies guident avec de plus en plus de fermeté la main des législateurs.
Délire conspirationniste et droit-de-l’hommiste ? Que l’on m’explique alors pourquoi un officier de la marine marchande, un adulte parfaitement intégré socialement et vivant dans une société riche et en paix, en vient à utiliser des mots qui auraient pu être prononcés par un membre des Einsatzgruppen allemands de la seconde guerre mondiale : « JE LES DÉSHUMANISE, SINON C’EST TROP DUR D’OBÉIR AUX ORDRES ! »
C’est là bien sûr une preuve de notre immense faiblesse individuelle et de notre incroyable facilité à abdiquer notre humanité, mais c’est également la preuve d’une société en voie de décomposition morale. D’un monde où l’humain est nié, ou le pouvoir politique est totalement délégitimé par son impuissance, quand ça n’est pas par sa corruption.
Il n’y a pas de place pour les humains dans un tel monde où l’argent est roi. Seulement la place pour des bourreaux et des victimes, pour des pièces de mécano interchangeables.
Bien vu…^!^… pour le meilleur (parfois) et pour le pire (… bien trop souvent ! )