Retranscription de Le temps qu’il fait le 17 octobre 2015. Merci à Cyril Touboulic !
Bonjour, nous sommes le jeudi 15 octobre 2015, et si vous êtes dans la région de Douai (dans le Nord) ce soir, n’hésitez pas à venir m’écouter. Je remettrai l’annonce qui explique exactement où à Douai, où a lieu la conférence.
Ce matin, je suis à Bruxelles, au Haut comité pour l’avenir du secteur financier belge. Et avant-hier, je me trouvais à Montpellier, j’ai parlé aux étudiants de la faculté de sciences économiques – ce qui n’est pas si souvent le cas. Et ordinairement quand on m’invite, on m’invite à parler de l’un de mes livres, et récemment bien sûr, on me demande de parler du livre sur Keynes (Penser tout haut l’économie avec Keynes). Mais là, le doyen de la faculté de Montpellier, de sciences économiques, m’avait demandé de parler spécifiquement de l’euro, et ça m’a permis de mettre un petit peu ensemble mes arguments sur l’euro: « où il en est ? », « Ce que l’on pourrait faire » », et j’en ai fait un texte que je vous soumettrai, que je vous montrerai. Je l’intégrerai peut-être dans le livre que je termine, qui s’appelle Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Et j’en ai fait un résumé hier, à l’intention de la revue Trends-Tendances (une revue belge) mais dont je mets les textes que je publie là en ligne sur le blog un peu plus tard.
Alors, voilà. Une vision sur l’euro qui ne ressemble pas, vous allez le voir – une fois que, moi, j’ai mis tous mes arguments ensemble -, ça ne ressemble pas tout à fait à ce qu’on lit ailleurs, même sous la plume de gens qu’on considère comme très proches de moi. Et il y aura en novembre, d’ailleurs, une grande discussion avec M. Varoufakis, M. Oskar Lafontaine. Je participerai à ça, c’est organisé par le Parti de gauche, ça sera en novembre à Paris, le lieu n’a pas encore été décidé mais voilà, on vous tiendra au courant. Il y aura pas mal de monde.
Comme j’étais à Montpellier hier, j’en ai quand même profité pour aller discuter avec l’ami Jean-Claude Michéa. Vous savez, il y a un certain nombre de gens dont je me considère proche, et je ne suis pas le seul à me considérer comme tel : des gens comme Stiegler, Lordon, Michéa, Alain Supiot. Il est bon de maintenir un dialogue. Et dans la conversation qu’on a eu, Michéa a tenu à attirer mon attention sur ce que fait ce mouvement d’inspiration allemande – enfin, ce sont surtout les Allemands qui font ça – de « critique de la valeur ». Moi, ce n’est pas tout à fait ma tasse de thé, et pas simplement parce qu’ils disent pis que pendre de moi, mais il considère [Michéa], et je crois qu’il a raison, que nous sommes quand même, des gens comme ça – ceux que je viens de citer, s’il fallait un jour – je ne sais pas, dans 50 ans – nous donner un nom, il faudrait nous appeler des « post-marxiens ». Alors, pas « marxistes » parce que nous ne sommes vraiment pas marxistes, parce que, voilà, nous ne sommes pas des disciples de Marx. Nous ne sommes pas non plus des « marxiens », au sens où nous serions, je dirais, des gens qui font reposer toutes leurs analyses sur Marx avec un regard critique, qui ferait qu’on ne soit pas des marxistes à proprement parler. Mais nous sommes peut-être tous, effectivement, des « post-marxiens ».
Et un livre que Michéa me recommande de lire, c’est par Lohoff et Trenkle – voilà, ce sont des Allemands. J’ai vu le titre de ce livre quand il est apparu en 2014, ça dit – je ne me souviens peut-être plus exactement du titre – quelque chose comme : ça n’est ni la spéculation ni la dette qui sont les causes de la crise [La Grande dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l’État ne sont pas les causes de la crise]. Alors voyant un titre comme celui-là, je n’ai vraiment pas eu envie de lire le livre, parce que ça rejoint ce que pourrait écrire n’importe quel libéral ou ultra-libéral : la spéculation et la dette jouent un rôle massif dans la crise mais, m’a expliqué Jean-Claude Michéa, leur analyse n’est pas sans intérêt. Et effectivement, à une chose près, d’après ce qu’il m’en dit, qui est justement cette idée qui est essentielle chez eux : il y a quelque chose que l’on appelle la « valeur » et qui a un rapport avec l’économie. A cette distinction près, on dit peut-être des choses très semblables, mais pour moi, c’est essentiel : c’est essentiel qu’il n’y ait pas cette notion de la valeur. Finalement, leur intérêt pour la valeur, c’est ce qui transforme, à mon avis, une explication matérialiste, qui est la mienne, en une explication idéaliste, qui est la leur. Et là, j’ai répondu quelque chose à Michéa, j’ai dit : « Voilà pourquoi ça ne peut pas être comme ça. », et là, il m’a dit : « Oh là, là, c’est quelque chose d’important ! Il faut absolument que tu en parles plus explicitement ! »
Et ce dont il s’agit, il s’agit en fait de cette simulation que j’ai faite, qui a été publiée en 2006, sur le fonctionnement d’un marché boursier. Une simulation qui est ce qu’on appelle un « modèle multi-agents », c’est-à-dire que j’utilisais le fait que les langages de programmation nous permettent d’utiliser des « classes », et ces classes nous permettent de créer des instances de type-personnage : des clients, des traders, etc. J’essaye de faire fonctionner tout ça ensemble avec des stratégies, sans stratégies, etc., et la conclusion, c’était celle-ci : ce qui apparaissait – ce n’était pas du tout une chose que j’avais imaginée au moment où j’ai fait la simulation. D’où l’intérêt d’une simulation. -, c’est le fait que quand on ajoute de la connaissance aux acteurs, quand ils essayent de deviner ce qu’il va se passer, eh bien, c’est la catastrophe : c’est le krach. Quand ils arrivent à deviner, mieux qu’à pile ou face, ce qu’il va se passer, les marchés s’effondrent.
Et alors me soulignait Jean-Claude Michéa, c’est la destruction totale, c’est – comment dire – c’est l’annihilation, c’est la bombe thermonucléaire tombant sur les approches à la Hayek qui considèrent, effectivement, que la connaissance, que le fait qu’il y a des agents qui sont vraiment informés : ce qui permet à ce que les prix se constituent de la manière [qu’] il faut et que par conséquent, les prix sont objectifs, que le marché est omniscient, et ainsi de suite. Et en fait, c’est vrai, je n’y avais pas pensé mais cette petite simulation détruit une fois pour toute cette approche. Alors il me conseille très gentiment d’en reparler un peu plus ouvertement que je ne l’ai fait jusqu’ici, et je vais le faire, effectivement, parce que c’est vrai, c’est peut-être l’« argument massue », c’est peut-être l’arme de destruction massive qui peut détruire une fois pour toutes, cette idée de l’objectivité du prix en fonction de ce qui serait une valeur objective.
Voilà, toutes les questions sur lesquelles il faut revenir, toutes les questions qui se posent, on dira peut-être, dans une approche « post-marxienne », des questions qui se posent maintenant.
Voilà, allez, à la semaine prochaine !
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