Argent et démocratie : travaux pratiques, par Jacques Seignan

Billet invité

Nos démocraties se convertissent en ploutocraties : le pouvoir absolu du fric pour le dire simplement. L’Empire Central a donc voulu verrouiller cette domination de la Puissance financière et paradoxalement ce verrouillage s’est traduit de façon habile – mais on verra que l’habileté n’est jamais une garantie – par justement l’élimination d’un verrou : les règles du financement électoral, c’est-à-dire une autorisation sans plafond de tous les dons (y compris des entreprises), les super-PAC (1).

En gros la Cour suprême des États-Unis a donné un droit illimité aux ultra-riches et à leurs entreprises de s’acheter des candidats à leur service pour lesquels des flots de pognon se déversent, aussitôt convertis en flots de propagande télé. Les 158 familles  qui ont le pouvoir de financer la moitié des dépenses électorales des candidats en sont une illustration récente. On doit admettre qu’au moins la transparence est totale dans ce pays car on peut afficher sa fierté d’être riche (et encore plus fier d’être richissime) puisque Dieu l’a voulu.

D’ailleurs, notons-le, c’est une claire démonstration de l’inanité des pseudo-théories complotistes : rien n’est caché, rien n’est secret, dans cette domination indirecte. Donc le Système se croyait tranquille : plus aucun risque (théoriquement) pour l’oligarchie d’être confrontée à des forces anti-TINA (supposées sans le sous !) et juste pour faire ‘vrai’, une couche cosmétique électorale. Premier accroc : le ridicule d’avoir promu un duel Bush (Jeb) vs. Clinton (Hillary) ; ce retour vers des rivalités dynastiques de grandes familles, ça faisait quand même bizarre. Mais que les choses sont amusantes : le mieux est, c’est connu, l’ennemi du bien… Pour nous, pauvres humains, tout prévoir semble encore un rêve inaccessible. Ainsi deux individus que tout oppose perturbent-ils quelque peu ce bel ordonnancement du combat annoncé : Trump et Sanders – que nos chers analystes politiques, pour se rassurer et nous intimider, désignent sous une même étiquette de « populistes ».

Considérons d’abord Donald Trump. Dans ces 158 familles, la sienne est-elle comptée ? Probablement : eh oui, lui, il s’autofinance et, comme il le proclame, il n’a aucun compte à rendre. Est-ce si favorable au Système ? Évidemment il a toutes les qualités requises et plus encore : sexiste, raciste, horrible. Bon point pour lui : il s’est enrichi grâce à des magouilles spéculatives diverses, par la télé réalité, et surtout grâce à l’abolition de toute redistribution par les impôts : merci Reagan, merci Clinton.
Obama a eu besoin d’environ un milliard de dollars pour « faciliter » sa première victoire (2) or Trump a amassé une fortune d’environ quatre ( 4,1 milliards selon Forbes) . Incidemment, à partir de quel montant accumulé est-on riche ? Si l’on n’est pas issu des infra-mondes (celui de la majorité d’entre nous) pour lesquels 10 millions d’euros ou de dollars suffiraient largement pour vivre confortablement en rentier et on peut aller jusqu’à 100 millions pour s’imaginer encore plus fortuné et jouer aux mécènes. Mais il est évident qu’entre 100 ou 1000 millions, il n’y a plus humainement aucune de différence. Par contre d’un point de vue inhumain, c’est toujours plus de pouvoir sur des multitudes d’humains. Et c’est là que ça se corse.

En effet Mr Trump peut tout à fait rester considérablement riche avec 2 ou 3 milliards de dollars : aucun problème pour lui de flamber dans sa campagne électorale un milliard $ ou même bien plus. Sa capacité « électorale » est assurée et cela sans finir ruiné! Mauvais point : il risque de provoquer des dégâts à son propre camp qui est inquiet (par ex. perte du vote des Latinos)… Mais la concurrence y est rude : on assiste à une hallucinante course à l’extrême droite la plus bestiale chez les Républicains. Un des derniers fous en date est Dr Ben Carson qui, en défenseur des armes à feu, a déclaré : “les chances d’Hitler d’atteindre ses objectifs auraient été bien moins grandes si les gens avaient été armés”. Il a également proposé des tireurs entrainés dans les écoles [on imagine une institutrice en maternelle avec son colt à la ceinture ; ce qui implique des gilets pare-balles pour les bambins : en effet une gentille maîtresse peut parfois péter les plombs quand les petits sont trop dissipés]. Mais Ben Carson avec ses déclarations récolte des fonds auprès de ses fans… Parfois on ne peut s’empêcher de se souvenir avec angoisse du film de science-fiction de David Cronenberg ‘Dead Zone ’ ; son sujet est la victoire d’un fou extrêmement dangereux dans la course à la Maison Blanche que le héros va essayer de prévenir, ayant pu la voir en rêve prémonitoire.

Incidemment les États-Unis étant un modèle insurpassable pour nos ‘élites’ françaises, une tentation pourrait apparaitre chez nous : suivre cet exemple de « modernité » et accroître la « liberté » des financements électoraux. On a dénoncé le pouvoir de 158 familles américaines mais, en France, avant la Seconde guerre mondiale, il y eut les fameuses « deux cent familles » et aujourd’hui une petite meute de prédateurs fait main basse sur la Presse et tous les médias français. Alors, supputation exagérée ? De ce point de vue-là, le candidat Sarkozy a été un indéniable pionnier lors de sa campagne de 2012. Toutefois cet ancien Président de la République n’en savait rien, assure-t-il. Comme dans d’autres cas actuels, (par exemple ceux de MM Bouton (SG) ou Winterkorn (VW)) ce sont des sous-fifres de bas étage – sûrement stupides et malfaisants, tel M. Lavrilleux qui dit avoir peur de finir comme R. Boulin  – qui ont pris des initiatives malencontreuses. Ah combien il est ingrat d’être à la pointe de gigantesques pyramides peuplées de gens malveillants !

Pour en revenir aux E.U., n’y aurait-il plus aucune perspective démocratique dans ce grand pays, le pays d’Abraham Lincoln et de Franklin Roosevelt ? L’autre surprise de cette précampagne électorale est Bernie Sanders, l’antithèse positive de Trump. En effet comme il semble impossible d’éviter de passer par la case « banque » de ce jeu électoral, il serait en train de réussir un beau coup. Il amasse en effet des sommes considérables (3) en se servant de l’énorme base de la pyramide (4) constituée de millions de familles. Libre, il refuse tout super-PAC. Qui va gagner ? Même si l’on doit rester assez pessimiste sur ce rapport de force entre une poignée de familles contre toutes les autres – potentiellement, car parmi elles, beaucoup font également des dons à B. Carson –, poser cette simple question est un espoir inattendu. B. Sanders fait passer un message, il ouvre les yeux sur une réalité subie mais si mal comprise. Rien n’est jamais perdu quand une longue durée intervient : près de trois siècles de luttes démocratiques.
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(1) – Le super-PAC
« Depuis un arrêt de 2010 de la cour suprême des États-Unis, les plafonds de dons sont abolis pour les comités d’action politique réputés indépendants des partis politiques et des candidats aux élections. Ces comités sont appelés des Super PAC ».

(2) – Le financement de la première campagne de B. Obama

(3) – Bernie Sanders, le champion des petits donateurs

« Au cours du troisième trimestre, le sénateur du Vermont, qui se revendique social-démocrate, a récolté 26 millions de dollars, indiquait le New York Times le 3 octobre. Presque autant que la favorite du camp démocrate Hillary Clinton, qui a totalisé 28 millions de dollars de donations sur la même période. »
(4)- Article interactif du New York Times et les pièces de Monopoly (ci-dessous captures d’écran)

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  1. AGI et ses magouilles c’est l’adolescence de l’humanité. Parents: accrochez vous. Ça va secouer.

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