Billet invité.
Ce matin, toute notre petite famille a préparé les chaussures de randonnée, les sacs à dos, deux gâteaux et une grosse compote de pommes. Les autres s’occupent du reste du pique-nique. On a pris la voiture pour aller retrouver trois autres couples avec qui nous avons rendez-vous pour passer une journée en montagne.
On s’arrête tous en ville, dans une rue un peu encombrée. Quelques uns vont chercher Ludmilla, Victor et leurs deux enfants en bas âge. Ils n’ont pas de voiture, c’est pour eux qu’on a organisé cette balade. Ils n’ont presque pas de revenus et n’ont donc pas les moyens d’aller passer une journée en montagne, même s’ils la voient depuis leur fenêtre.
Après une petite heure de route nous arrivons au col. En ce début d’octobre, la montagne commence à se teinter de couleurs chaudes. Le ciel est bleu et dans les prairies, moutons et chevaux sont encore libres de pâturer à leur aise. Bientôt, ce sera la transhumance descendante et la montagne retrouvera son silence pour se préparer à passer l’hiver.
Il fait chaud mais il y a aussi un peu de vent, d’ailleurs les parapentistes ne s’y sont pas trompés et décollent les uns après les autres devant les yeux ébahis des enfants de Ludmilla, dans un ballet de couleurs vives.
Nous chargeons les victuailles et partons à la recherche d’un endroit à l’abri du vent. Le paysage est magnifique. Il n’y a que Ludmilla qui ne semble pas aller très bien. Une fois l’endroit idéal choisi, les sacs s’ouvrent et se répandent taboulé, salade de riz, pâté fait maison, pain, tartes diverses et l’apéro bien sûr. Ludmilla ne veut rien prendre. Il faut dire que tout le long de cette route de montagne avec ces innombrables virages, elle n’a pu s’empêcher de pianoter sur son téléphone. C’est important pour elle de garder le contact avec sa famille lointaine et ses amis. Mais l’air frais arrange tout rapidement et chacun à plaisir à échanger et à manger.
Les enfants s’amusent dans l’herbe et se délectent des effets de la pesanteur qui les fait rouler dans la pente. Au dessus de nous passent des grands oiseaux qui planent et jouent eux aussi des ascendances. Ma fille m’amène un joli petit scarabée noir brillant qu’elle me pose sur le bras. Le mari de Ludmilla resté très discret jusque là, me demande : « Comment vous les appelez ? » en désignant l’insecte. Je lui réponds qu’ici on les nomme « bousiers ». « Chez nous, on dit biz ». Et l’insecte s’envole chahuté par le vent.
Le temps a passé, au son des sonnailles, des paroles et des rires. Le ciel s’est couvert, il nous a fallu rejoindre les voitures et redescendre vers la plaine. Dimanche se termine, demain chacun retournera à son boulot de médecin, de comptable, d’infirmière, d’instituteur, d’assistante social…
Ludmilla et son mari n’iront pas au travail. C’est difficile à trouver surtout quand on est en situation irrégulière, toujours à craindre la reconduite à la frontière. Mais leur fille ira à l’école, elle va bientôt apprendre à lire et à écrire le français. Son frère ira la rejoindre dans un an, lui aussi ira à l’école. Il est né en France et ne connaît pas le pays d’où viennent ses parents, l’Arménie.
Il ne sait pas encore que dans se pays, quand on est Yézidi, on n’a pas les mêmes droits que les autres. Il ne sait pas encore que ce peuple sans nation subit comme d’autres le lourd tribut des minorités, où qu’il vive. Il ne sait pas encore qu’en août 2014 les YPG- (milices révolutionnaires du PYD-PKK) se font connaître du monde entier à la suite de leur opération d’évacuation de 200 000 Yézidis encerclés dans les Monts Sinjar en Irak et abandonnés par les peshmergas.
Il sait seulement que sur le sol de France, l’herbe est fraîche et douce. Il sait seulement que des gens qu’il ne connaît pas bien mais qui l’appellent par son prénom, l’ont emmené avec sa sœur et ses parents passer une journée en montagne sous le soleil, dans un monde en paix.
Fin de la récréation Le missile Oreshnik ne se limite pas à une menace stratégique : il traduit un comportement…