Retranscription de Paul Jorion pense tout haut le 30 septembre 2015 à 19h43. Merci à Olivier Brouwer !
Ouvert aux commentaires. J’aimerais que le débat – qui me semble important – soit ciblé sur les sujets que j’évoque ici. Je demanderai du coup à quelques commentateurs habituels qui ont fait la preuve au fil des ans de leur incapacité à parler du sujet évoqué [BasicRabbit, Dominique Gagnot, Gudule et JDucac] de s’abstenir cette fois-ci pour laisser de la place aux autres.
Bonjour, nous sommes le mercredi 30 septembre 2015. Quand je vous parle un vendredi, j’appelle ça Le temps qu’il fait. Quand c’est un autre jour, j’appelle ça parfois Le temps qu’il fait, si on est un jeudi, en vous expliquant que le lendemain, je serai sur la route ou je ne sais quoi. Aujourd’hui, on est mercredi, et j’ai envie de parler de quelque chose, c’est d’une inquiétude que j’ai, et en même temps, ce n’est pas vraiment une inquiétude parce qu’il y a quelque chose de rassurant dans toute cette histoire.
On m’a posé la question, c’était à la Catho de Lille, la semaine dernière, sur l’espérance. Et ce qui m’est venu, c’est de dire que quand l’espérance est nécessaire en permanence, eh bien, c’est une mauvaise chose : c’est que vraiment, ça va trop mal, et qu’on ne vit qu’à partir d’une représentation probablement assez mystifiée de l’avenir.
Il ne faut pas « vivre dans l’espérance ». On peut vivre dans l’espérance de temps à autres, de temps en temps, quand ça ne marche pas trop bien : quand mon ami Debauche disait que ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose de boire un petit apéritif pour se remettre sur les rails. François Debauche, qui est mort il y a pas mal d’années [en décembre 1996], qui était un psychiatre remarquable de Bruxelles : une personne qui était venue très tard à la médecine, à la psychiatrie, mais qui est venue, je dirais, avec un sens de l’humain extraordinaire et qui nous a appris pas mal de leçons, à beaucoup d’entre nous.
Et donc, l’espérance, voilà, c’est bien de temps à autres, comme un petit apéritif, mais il ne faut pas vivre là-dessus. Si on vit sur l’espérance, c’est comme disait Mad Max : c’est parce qu’on n’arrive à rien, et dans ce cas-là, eh bien, on devient fou. Voilà.
Donc, il faut essayer de changer les choses, et parfois, ça va bien. Moi, je ne sais pas combien, c’est des centaines de vidéos que j’ai faites comme ça, que vous avez eu l’amabilité de regarder, et parfois, je me dis : « T’étais plein d’enthousiasme ou t’étais pas plein d’enthousiasme , et ça dépendait plutôt, sans doute, d’humeurs qui te sont propres et qui n’ont pas grand-chose à voir avec le monde. »
Je dois retomber sur mes pattes, puisqu’on me supprime un enseignement quelques semaines avant que j’imaginais le recommencer, et donc, j’ai relancé cette idée qui était la mienne, c’est que, depuis pas mal d’années, depuis le tout début des années 90, j’ai eu ce sentiment – parce que j’ai eu le plaisir, et je dirais l’honneur, d’avoir eu une psychanalyse avec Philippe Julien – d’avoir le sentiment que la psychanalyse, c’est quelque chose de très important. Malheureusement, malheureusement, certains psychanalystes, même très célèbres, sont des gens qui sont passés à côté de cette expérience. Quand ils en parlent, les bras m’en tombent, parce que ça veut dire que malgré la place qu’ils ont dans la représentation de ce que c’est que la psychanalyse, c’est quelque chose qu’ils n’ont pas compris. Ils n’ont pas compris, sans doute, parce qu’ils n’ont pas eu un bon analyste qui les a fait passer à côté de quelque chose de très important. Moi, j’ai eu un premier psychanalyste, qui m’a fait passer à côté de quelque chose de très important, et c’est grâce à une amie qui a insisté, qui m’a dit : « Non non, non non, il y a là quelque chose d’essentiel ! », et qui m’a conseillé de faire une analyse avec Philippe Julien… Et ce monsieur qui est mort maintenant, lui il comprenait de quoi il s’agissait, et avec un énorme travail de sa part, un énorme travail de sa part : nous avons beaucoup souffert, lui et moi, à essayer de tirer le maximum qu’il est possible de cette expérience.
Et quand on réussit cette expérience, quand on découvre ce qu’il y a moyen de faire avec une psychanalyse, on se dit que tout le monde devrait en faire une, et que si on parvenait à faire ça, et que ce soit une analyse réussie, eh bien, le genre humain serait d’une autre nature.
Souvent, les gens me disent : « Oui, ce n’est pas d’une révolution extérieure dont on a besoin, on a besoin d’une révolution intérieure ! », mais il faut encore que cette révolution intérieure soit d’une qualité exceptionnelle pour que, voilà, si tous les êtres humains passaient par là et en tiraient les conséquences, on aurait une représentation du monde tel qu’il est, qui permettrait de le changer dans la bonne direction.
La semaine dernière, j’ai été reçu, donc, à l’Université Catholique de Lille, et j’ai eu un accueil comme on les rêve, c’est-à-dire d’un public qui vous écoute, qui a l’impression qu’il peut tirer quelque chose de ce que vous dites, et moi aussi, de pouvoir tirer quelque chose, non seulement de l’attention, au moment même, mais aussi des questions qui me seront posées par la suite.
Mais en même temps, en même temps, devant ce public où quelqu’un m’a demandé si j’étais croyant, pas pendant l’exposé mais par la suite, et que j’ai dit : « Non : non non, je ne suis pas croyant », mais il y a quand même, dans un auditoire où on comprend ce que je dis quand je répète après d’autres qu’il faut rétablir les valeurs, que les valeurs, c’est quelque chose qui n’a pas de prix, contrairement à ce qu’on nous répète depuis qu’Albert le Grand a falsifié délibérément une traduction d’Aristote, et on nous a dit que derrière chaque prix, il y a une valeur qui se cache… Non, non, le domaine des valeurs et le domaine des prix, c’est des domaines qu’il ne faut pas faire communiquer : là où il y a valeur, il n’y a pas de prix, là où il y a prix, il n’y a pas de valeur. Et c’est Supiot, Alain Supiot, qui reprend le vieux terme de l’époque de la scolastique en parlant de « dignités ». Les dignités comme l’honneur, comme ce qu’on appelle les vertus, etc. Alors là, je dirais, parmi les gens qui sont soit catholiques, soit « catholiques-zombies » comme dit mon ami Emmanuel Todd, il y a des gens qui comprennent encore – et ils ne sont pas les seuls, bien entendu – qu’une valeur et un prix, ça n’a aucun rapport, et qu’il faut rétablir, je dirais, le royaume, le royaume des valeurs. Et c’est une chose qui vous vient en psychanalyse, même si vous ne l’avez jamais comprise, que ce que c’est qu’être humain, être un être humain, et comprendre, je dirais, toute la dimension merveilleuse qu’il y a derrière ça. Malgré, malgré toutes les horreurs que produisent les êtres humains, c’est qu’il y a une expérience, là, qui vous fait toucher les choses de près.
Et je le leur ai dit, à mes amis qui m’écoutaient à la Catho de Lille, qu’il y a quelque chose, malheureusement, dans la manière dont eux posent les choses – même s’ils mettent le doigt sur une grande vérité qui est celle de la condition humaine – que dans le fait qu’ils imaginent, au moins certains d’entre eux, ceux qui sont croyants, qu’il y a derrière tout ça un endroit après l’expérience de la mort, un endroit où la justice se rétablit, où on est récompensés pour les vertus qu’on a présentées et punis pour les vices qui ont été les nôtres, il y a dans cet élément-là un élément démobilisateur. Cette idée que, même si on baisse les bras, même si on arrête de se retrousser les manches, il y aura une récompense, là, quelque part, un jour, c’est un élément démobilisateur. Même si, comme certains d’entre eux m’ont rappelé, que Jésus – Jésus Christ – nous a dit qu’il fallait s’occuper des choses tout de suite, parce que ce monde, dans lequel nous sommes, c’est celui qui nous est donné dans l’immédiat, cette idée qu’il y a, derrière tout cela, après, une immortalité où les choses s’arrangeront, ça nous empêche de mettre tous nos efforts, de mettre toutes nos énergies au service de ce qu’il faudrait changer maintenant, parce qu’il faut changer les choses à l’échelle de deux générations, trois générations, c’est-à-dire de 60 ans, de 90 ans… Non, non, c’est maintenant, c’est maintenant, tout de suite. Voilà.
Parfois je parle de ces choses-là le vendredi. En général, le vendredi, je fais un récapitulatif de la semaine qui vient de s’écouler. Quand j’ai envie de parler de choses un peu plus graves, j’appelle ça Paul Jorion pense tout haut (un jour de semaine). Voilà. J’espère que nous pourrons tous tirer parti de ces réflexions qui me viennent un mercredi soir. Voilà, à bientôt !
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