Le Séisme National ?, par Zébu

Billet invité.

Quand déjà à 35% des intentions de vote, on pouvait déduire que le Front National était en mesure de ravir la Région Nord Pas de Calais Picardie, grâce à un mode de scrutin particulier (prime de 25% des sièges au parti arrivé en tête au second tour), on déduit alors facilement ce qu’il en sera avec un FN positionné à 39% dans divers récents sondages, faisant annoncer un ‘séisme politique’.

On entendra des ‘hue’ et des ‘dia’ de tous côtés, avant et après ces élections régionales comme une chronique d’une défaite annoncée, mais pour l’instant et deux mois seulement avant ces élections, force est de constater qu’un grand silence dans les rangs des partis politiques s’est installé, faisant ainsi accroire que ceux-ci ont acté de l’inéluctabilité de la chose. On n’entend d’ailleurs plus du tout les grandes tirades de M. Valls sur le Front National et la nécessaire ‘mobilisation’ citoyenne face à ce suprême danger. Le Premier Ministre a sans doute d’autres chats politiques à fouetter …

En fait de ‘séisme’ politique, un FN vainqueur d’une région comme celle du Nord Pas de Calais Picardie[1] sert objectivement les intérêts des présidentiables MM. Hollande et Sarkozy, et par-delà, conforte les orientations prises il y a déjà plusieurs années de leurs partis politiques respectifs.
En premier lieu, cette victoire annoncée du FN dans cette région est apparue depuis plusieurs années comme inéluctable, à gauche comme à droite. On se souvient ainsi de l’échec cuisant de M. Mélenchon face à Marine Le Pen dans une circonscription de la région et d’une élection de justesse d’un candidat PS face à elle. On ne peut que se souvenir de la progression du FN aux municipales et aux départementales, mais aussi d’une crise économique et sociale qui s’aggrave, avec un taux de chômage le plus élevé de France métropolitaine : à l’échec des politiques économiques menées depuis 2012 par l’actuel gouvernement vient s’adjoindre l’échec politique des partis de droite à freiner la progression du Front National sur ces terres. Aux départementales déjà, le Front National n’avait raté que de peu deux départements (Vaucluse et Ain) du fait du scrutin majoritaire, donnant un répit, de courte durée, aux partis politiques et au pouvoir exécutif. Cette fois-ci, notamment à cause du nouveau système électoral mis en place pour ces élections (proportionnelle et prime en sièges au premier), il en sera tout autrement. Les états-majors politiques, à droite comme à gauche, ont donc déjà acté cette victoire du FN dans la Région Nord Pas de Calais Picardie et ce n’est pas l’agitation médiatique du Premier Secrétaire du PS avec son ‘référendum’ sur les alliances qui y changera quoique ce soit. Car le principal but politique de cette dernière manœuvre est bien de rejeter la ‘faute’ politique sur d’autres (EELV et PG) et non pas de chercher réellement à construire une alliance qui aurait pu si elle avait réellement souhaitée être construite bien en amont.

Non, cette région est bel et bien perdue au profit du FN et seul un miracle politique (une abstention moins forte, un sempiternel ‘sursaut’ politique attendu tel un ‘dead cat bounce’) pourrait conclure une agitation médiatique focalisée sur cette victoire annoncée. Car l’essentiel est ailleurs et si l’objectif n’est pas de remporter la région, il est bel et bien pour nombre d’acteurs de valider ou d’invalider des stratégies politiques définies pour les prochaines élections, les seules qui vaillent, celles de la Présidentielle et des législatives de 2017.

Ainsi, l’alliance entre EELV et le PG au niveau local, sans le PS, aura pour ambition de vérifier dans un cadre acté de prééminence du FN, futur cadre projeté pour les élections en 2017, son positionnement sur l’échiquier politique et plus particulièrement face au PS : en clair, un pari politique sur la capacité d’une telle alliance à peser face et/ou sur les choix futurs du PS.

Mais ainsi aussi, puisqu’il faut néanmoins pouvoir tirer profit de tout échec, permettre aux écuries des présidentiables de mettre en échec les ambitions de candidats sur cette région ou d’orientations politiques que l’on pourrait dénommer comme ‘légitimistes’ par rapport à celles portées par ces écuries présidentiables.

  1. Bertrand et Mme Aubry incarnent des dangers politiques internes potentiels pour M. Sarkozy et M. Hollande, si le FN venait à ne pas gagner cette région et que, droite ou gauche, parvenait à conserver ou à gagner cette région. En cas d’échec, Mme Aubry et ses orientations politiques au sein du PS démontrerait ainsi toute la ‘pertinence’ de l’orientation politique prise par le pouvoir exécutif et imposée au congrès de Poitiers cette année, et l’absence véritable de toute alternative à gauche, le PS pariant évidemment sur un échec d’une alliance EELV-PG.

En cas d’échec, M. Bertrand verrait la fin de ses ambitions politiques présidentielles, qu’il a maintenues, mais aussi la fin d’un concurrent interne au sein des ‘Républicains’ pour M. Sarkozy, un concurrent ‘légitimiste’ qui aurait pu s’allier avec M. Juppé pour remettre en cause les orientations passées et actuelles que M. Sarkozy impose à son parti.

On peut d’ailleurs se demander si la montée récurrente au créneau médiatique de M. Macron ne participe pas de cette stratégie politique à gauche, comme repoussoir évident aux ambitions d’un ‘légitimisme’ porté par Mme Aubry et les ‘frondeurs’ au sein du PS … en attendant leur échec programmé, rendant ainsi d’autant plus évidente l’orientation incarnée par M. Macron qu’elle était déjà (omni)présente avant les élections régionales.

Mme Le Pen n’aura donc aucun obstacle politique véritable sur sa route vers le succès, au vu de l’absence de volontés politiques à le faire, hormis les candidats locaux qui se présentent dans la région Nord Pas de Calais Picardie. Mieux, la seule solution pour le faire serait de fait une victoire politique qu’elle capitalisera plus encore aux élections suivantes, puisque cette solution impose non plus seulement des alliances entre un grand parti et d’autres subissant son rapport de force politique du premier tour, mais bien, et c’est là toute la nouveauté du fait de l’importance prévisible de son score du premier tour, entre deux grands partis. Et dans ce cas, la rhétorique de « l’UMPS » du FN, du « Tous pourris » et du « Tous contre le FN », celle de « l’establishment contre le peuple » se transformera en réalité.

Ainsi piégés, les grands partis politiques ‘de gouvernement’ ont le choix entre perdre une région au profit du FN (mais aussi d’écarter définitivement des adversaires internes et de renforcer leurs orientations politiques propres, tout en s’appuyant sur le rôle renforcé d’épouvantail du FN) ou prendre le risque d’apparaître, in concreto, aux yeux de tous les citoyens comme étant réellement ce que dénonce le FN depuis des années.

Entre des objectifs locaux, certes politiques, mais encore limités, veut-on croire dans les écuries des présidentiables et les véritables enjeux de 2017, le choix est ainsi vite fait et s’oppose de tout son poids aux ambitions des rivaux, locaux ou nationaux.
Car de fait, les partis politiques ne peuvent plus guère capitaliser sur les erreurs du FN pour se sortir de ce guêpier. L’expérience municipale de 2014 a démontré qu’en dehors de quelques délirants, les communes gérées par le FN ou affiliées le sont par des gestionnaires, l’objectif, atteint, étant de ne pas faire de vagues. Les partis politiques ne peuvent donc pas capitaliser sur un échec du FN à la tête de la Région, comme dans les années 90.

Les partis politiques ne peuvent pas non plus espérer une quelconque scission en interne ‘à la Mégret’, le père Le Pen ayant échoué politiquement dans son combat face à sa fille, qui ressort renforcée personnellement (les sondages qui montrent une dynamique ascendante sur les régionales le prouvent depuis le début de l’année).

Les Français vont ainsi se retrouver en 2017 face à une Marine Le Pen en pleine ascension politique et à la tête de la 3ème région de France, face à un Président de la République en échec économique et social avec peu de réserve à gauche et parmi les écologistes qu’il aura contribué à diviser, et face à un ancien Président de la République faisant face à ses dossiers judiciaires et ne proposant rien d’autre que lui-même, ayant déjà fait le plein des voix au centre et à droite et en échec politique face à la progression du FN.

Pour le pouvoir exécutif, les marges de manœuvre sont encore plus restreintes puisque toutes les élections intermédiaires auront été ainsi perdues et que les dernières cartouches auront été grillées avec les baisses d’impôts qui se profilent pour 2016 et qui ont déjà été actées en 2015, dans l’espoir, cyclique, que la croissance reviendra d’ici là et que les entreprises finiront bien par embaucher.

La réalité est pourtant bien plus cruelle pour ce pouvoir exécutif, dans un monde où la réalité ressemble de plus en plus à de la déflation, à des crises de croissance en Chine et dans les pays émergents et à une politique de l’offre qui chaque jour démontre son inefficacité, sinon l’injuste parallèle entre d’un côté un allègement des charges pour des entreprises qui ne sont pas contraintes d’embaucher et de l’autre des coupes de plus en plus sévères dans les budgets, notamment locaux.

Force est de constater, d’ailleurs, que malgré les baisses d’impôts sur le revenu (suppression de la première tranche) déjà actées en 2015, les Français ne lui en savent pas gré et, du moins en région Nord Pas de Calais Picardie, continuent de manière croissante à vouloir voter pour le Front National …

Mme Le Pen ne sera pas élue à l’élection présidentielle en 2017 et elle le sait.

Mais elle dépassera les 30% des voix au second tour avec une abstention supérieure à 30%, avec un Président de la République le plus affaibli politiquement malgré des pouvoirs conséquents que lui donne la Vème République parce qu’il sera le plus mal élu de l’histoire démocratique du pays : du jamais vu.

Face à de tels résultats, le FN devrait récolter un groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale aux législatives suivantes.

Et Marine Le Pen n’aura alors plus qu’à attendre son heure.

Cette chronique d’une mort annoncée n’est pas celle des hommes politiques concernés : ceux-là devraient survivre, d’une manière ou d’une autre, en trouvant un poste ou un rôle quelconque.

C’est la chronique de la mort d’une conception politique qui a été fondé sur les combinazione comme réalité pratique d’une théorie des alliances politiques incapable de faire face aux réalités sociales et politiques de notre temps, s’enfermant dans l’espoir de jours meilleurs ou dans l’autisme de l’absence d’alternatives quand la réalité de tous les jours vient prouver son inanité.

C’est la mort d’une démocratie représentative que ne vient pas assassiner le FN mais qu’un long suicide a poussé là où elle se trouve, par le règne des intérêts individuels et du court-termisme, par son abdication face au règne de l’argent.

Peut-être faut-il en arriver là pour que les Français soient vraiment écœurés.

Pourtant, on sait depuis 1940 et Pétain que la débâcle n’est jamais bonne à vivre …

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[1] La région PACA semble moins sujette à ce type de ‘séisme’, de par (l’encore) forte implantation des notables de droite dans cette région, du moins pour cette élection-ci. Que cette région PACA vienne néanmoins à basculer elle-aussi et l’on assisterait alors pour le coup à un véritable séisme politique, puisque l’hybris même du FN dans la victoire desservirait les objectifs des partis politiques ‘de gouvernement’ et les objectifs personnels des présidentiables, les mettant dès 2016 face à leur échec politique. Par ailleurs, il serait politiquement opportun pour Marine Le Pen et son avenir politique que celle-ci ne trouve pas une figure concurrentielle victorieuse en la personne de sa nièce Marion-Maréchal Le Pen dans la région PACA.

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