Billet invité.
On a d’abord parlé de migrants. Maintenant que l’euphémisme a cessé d’être tolérable, on parle de réfugiés. Encore un effort, et l’on parlera enfin de demandeurs d’asile, en osant regarder en face ce que ces hommes et ces femmes demandent effectivement, – et que nos décideurs tardent, hésitent ou répugnent à leur accorder.
A Bruxelles, ville de tous les contrastes, les effets de cette politique rigide se sont manifestés sous la forme d’un village de tentes. Le campement du Parc Maximilien s’est dressé pendant des semaines en face même de l’Office Fédéral des Etrangers, au coeur d’un quartier d’affaires (lire ICI et LÀ). Seule oasis d’humanité dans une forteresse architecturale et administrative, il est progressivement démonté, en ce moment même, par les collectifs qui l’ont rendu possible.
Rappelons en effet que si ce lieu d’accueil a existé, c’est uniquement grâce à des citoyens bénévoles, rejoints par quelques associations. Il ne doit strictement rien à l’intervention du Gouvernement belge. Celui-ci n’a rien prévu pour accueillir les demandeurs d’asile pendant la période qui précède leur enregistrement à l’Office des Etrangers.
Jouant sur les mots, le Premier ministre belge s’est récemment félicité d’avoir créé en urgence des centaines de places de « pré-accueil« . Il est vrai qu’après des semaines d’inertie totale, des lits ont finalement été disposés dans un immeuble de bureaux, équipé (tardivement et de mauvaise grâce) de sanitaires supplémentaires.
Mais il faut bien comprendre que tous les demandeurs d’asile n’ont pas accès à ce squat de luxe : seuls y sont admis ceux que l’Office des Etrangers a déjà enregistrés, en leur fixant un rendez-vous ultérieur. Soit 250 personnes par jour, pas une de plus, et ce depuis des semaines.
Qu’arrive-t-il aux hommes, aux femmes et aux enfants qui ne font pas partie des 250 élus quotidiens, admis à ce pré-accueil ? Rien. Car rien n’est prévu, tout simplement. Livrés à eux-mêmes, ils n’auraient eu nulle part où aller si le campement du Parc Maximilien ne s’était pas constitué, porté par des bénévoles structurés en « Plateforme Citoyenne ».
Ce campement de fortune restera ainsi comme un exemple de résistance civile à l’inertie et à la démission du politique. Aujourd’hui, son démontage marque la fin d’une première forme d’accueil de crise. Exténués, lassés aussi de servir d’alibi à l’inaction du Gouvernement, les bénévoles de la Plateforme Citoyenne s’orientent désormais vers d’autres stratégies, notamment des hébergements dans des familles volontaires, mais aussi des activités et des soutiens divers aux demandeurs d’asile, – à l’intérieur de bâtiments, cette fois.
Cette décision intervient au lendemain d’une manifestation qui a rassemblé à Bruxelles environ 20.000 personnes, réclamant un « accueil digne » des demandeurs d’asile. Cette mobilisation, beaucoup plus importante que prévu, confirme la volonté d’une partie croissante de la population de peser dans le débat sur la politique de l’asile en Belgique, autrement qu’en déversant sa bile (ou son angélisme) sur les réseaux sociaux.
Le démantèlement du campement du Parc Maximilien est en phase avec cette manifestation. Après avoir fait la preuve que la société civile était à même de proposer des solutions de crise, il s’agit de (re)mettre le Gouvernement face à ses responsabilités pour dégager des solutions durables. Car la Plateforme Citoyenne prévient : ce type de campement est voué à se reconstituer rapidement si le Gouvernement persiste à regarder ailleurs.
Au fond, ce qui est en jeu, c’est de savoir si le monde politique belge a (ou non) intérêt à améliorer l’accueil des candidats réfugiés. De ce point de vue, il est apparu que le village de tentes du Parc Maximilien pouvait finalement faire le jeu des partisans d’un durcissement des procédures d’asile.
Premièrement, en effet, des conditions d’accueil de fortune peuvent conduire certains candidats réfugiés à introduire une procédure de « retour volontaire ». C’est évidemment une option que l’Office des Etrangers met en avant, dans cette phase critique ou le demandeur d’asile croit être enfin en sécurité, se dépouille de sa cuirasse et redevient l’homme ou la femme éloigné(e) des siens.
Deuxièmement, la lenteur, la rigidité et la complexité des procédures administratives sont un bon moyen d’inviter d’autres demandeurs d’asile à reprendre la route pour tenter leur chance dans un pays voisin. (Naturellement, l’administration belge fait preuve d’un autre zèle lorsqu’il s’agit d’offrir l’asile fiscal à une multinationale en détresse, persécutée par le fisc du même pays voisin).
Troisièmement, certains partis peuvent capitaliser, en termes électoraux, sur la peur de l’Autre. Pour effrayer une population déjà crispée sur des enjeux identitaires, quoi de mieux qu’une forte concentration d’étrangers, parqués les uns sur les autres dans un lieu central ? Quelle meilleure manière de démontrer au citoyen inquiet que son territoire est envahi par des barbares en grand nombre, qui finiront par menacer son porte-monnaie et sa sacro-sainte identité culturelle ?
Quatrièmement, le fait de laisser ces étrangers s’embourber dans un no man’s land (physique, psychologique et juridique) procure un capital sympathie auprès de franges plus dures de l’électorat. « Avec nous, ils passent un mauvais quart d’heure« : c’est le message implicite envoyé à des électeurs qui se radicalisent, à gauche comme à droite. Au delà des demandeurs d’asile, ce « ils » désigne tous ceux sur qui l’on peut projeter sa rage, en ces temps de précarité croissante, d’angoisses diffuses face aux actes terroristes, sur fond de xénophobie décomplexée.
Enfin, une situation présentée comme ingérable justifie naturellement des mesures d’exception. Les institutions publiques (par ailleurs saignées à blanc au nom de l’austérité budgétaire) peuvent être autorisées à recourir à des moyens politiques et policiers (voire militaires) « audacieux », en phase avec des « défis inédits ». En particulier, pourquoi s’interdire le recours aux opérateurs privés, qui n’attendent que de nouveaux appels d’offre pour développer des « solutions innovantes », clé-en-main : surveillance, répression, enfermement, constructions de centres fermés, etc.
Face à cette ligne dure, les partis dits « progressistes » (dans l’opposition à l’échelon fédéral) s’emparent très timidement de la question… Même s’il faut saluer les initiatives de certaines individualités, qui ne ménagent ni leur énergie ni leur temps, il faut pointer l’embarras manifeste des grands appareils politiques dits « de gauche » ou « de centre gauche ». Ceux-ci sont confrontés à un problème embarrassant : comment faire oublier que la politique d’asile de la Belgique s’est déshumanisée, de manière continue, au fil des récentes législatures, alors même qu’ils étaient à la manœuvre ?
Ainsi, en Belgique, seule la société civile paraît aujourd’hui porteuse de solutions véritablement humaines et efficaces en matière d’asile. Celles-ci se déploient dans les interstices de l’action politique du gouvernement… et de l’opposition.
Naturellement, cette société civile est elle-même fragilisée de toute part, suite à des réformes calamiteuses sur d’autres terrains, par exemple en matière de sécurité sociale, d’emploi ou de justice. Cela ne l’empêche pas, comme on l’a vu au campement du Parc Maximilien, de sauver l’honneur d’un pays qui, s’il fallait compter sur son seul Gouvernement, l’aurait perdu depuis longtemps.
OpenAI o3 est-elle une IAG (ou AGI) ? Il semble que tous les spécialistes ne soient pas d’accord, tel François…