L’étrange raisonnement de Janet Yellen
« Comparaison n’est pas raison », dit-on. Il faudrait ajouter que « corrélation n’est pas raison » non plus, en voulant dire par là qu’une corrélation observée entre deux ordres de faits ne prouve pas qu’il existe un lien causal entre les deux : que soit A cause B, soit B cause A, bien d’autres choses pouvant expliquer ce que l’on observe, il se peut en effet qu’il s’agisse d’une pure coïncidence, ou bien que C cause à la fois A et B. L’hiver explique à la fois la neige et les journées plus courtes, sans que la neige ne soit la cause des journées plus courtes, ou l’inverse.
Une corrélation et une explication causale se situent du point de vue de la connaissance, à des niveaux distincts. Une corrélation est la constatation empirique que deux évolutions ont lieu en concordance. La relation est symétrique entre A et B : quand A se manifeste, B se manifeste également. Postuler une relation causale relève au contraire d’une réflexion théorique : l’hypothèse est posée qu’un mécanisme invisible est à l’œuvre. Et surtout, la relation est alors anti-symétrique : ou bien A est la cause de B qui en est l’effet, ou bien B est la cause et A, l’effet.
En termes d’action possible, si l’on agit sur la cause, l’effet sera peut-être modifié, alors que si l’on agit sur l’effet, la cause n’en sera pas affectée : le baume sur les boutons de la varicelle soulage le malade, mais ne le guérit pas. Quant aux phénomènes corrélés, si l’on agit sur l’un ou sur l’autre, rien ne peut être prédit de ce qui en résultera.
Pourquoi rappeler que « corrélation n’est pas raison » ? Parce que Mme Janet Yellen, présidente de la Federal Reserve, la banque centrale américaine, a déclaré jeudi 17 septembre : « Nous aimerions renforcer notre conviction que l’inflation remontera à 2%. Et bien sûr, une amélioration supplémentaire sur le marché du travail permet d’atteindre ce but ». Ce qui, traduit, signifie que Mme Yellen postule qu’une baisse du taux de chômage produit une augmentation de l’inflation.
Le Wall Street Journal ajoute * :
« Certains collègues de Mme Yellen affirment que la Fed devrait attendre que l’inflation, qui est aujourd’hui de 1,2% […], atteigne 2% […]. Mme Yellen n’est pas de cet avis. Attendre aussi longtemps permettrait au chômage de tomber sous son taux « naturel », la main d’œuvre deviendrait alors rare, et « nous dépasserions significativement » l’objectif 2% ».
Atteindre un objectif d’inflation trop élevé ferait que le niveau de chômage baisse trop, déclare Mme Yellen, ce qui signifie que selon elle, une hausse de l’inflation génère une baisse du taux de chômage.
Dans la déclaration à la presse de la présidente de la Fed, la cause est le taux de chômage et l’effet, l’inflation, alors que quand elle s’adresse ensuite aux journalistes, c’est l’inflation qui est la cause, et le taux de chômage, l’effet. Comment l’expliquer ?
Mme Yellen croit à la « courbe de Phillips » qui lit (ou « imagine lire » selon d’autres économistes) une relation inversée entre taux d’inflation et taux de chômage, et elle considère en conséquence qu’en agissant sur le taux de chômage, il est possible de faire bouger le taux d’inflation, et qu’en agissant sur le taux d’inflation il est possible de faire bouger le taux de chômage. Autrement dit, elle confond une corrélation avec une loi causale, ou plutôt, avec une loi doublement causale où A est cause de B et B cause de A.
En sciences, une corrélation est un phénomène qu’il s’agit d’expliquer par une loi scientifique, qui mettra en évidence un mécanisme causal. En « science » économique, une corrélation suffit apparemment à être traitée à l’égal d’une loi, par Mme Yellen en particulier.
La présidente de la Fed est docteur en science économique de l’Université de Yale. La finance américaine est-elle pour autant en de bonnes mains ? À chacun de juger en son âme et conscience.
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* Fed Rate Decision Keeps Monetary Debate Raging, par Greg Ip, Wall Street Journal, le 18 septembre 2015
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