« Lincoln Memorial » par Jeff Kubina – Lincoln Memorial. Licensed under CC BY-SA 2.0 via Commons –
« C’est à nous les vivants de nous vouer à l’œuvre inachevée que d’autres ont si noblement entreprise. (…) à nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre ».
Lorsqu’Abraham Lincoln prononce sa célèbre adresse à Gettysburg le 19 novembre 1863, il consacre ainsi le champ de bataille et son cimetière national où périrent des dizaines de milliers de soldats quelques mois plus tôt, en pleine guerre de Sécession américaine.
Mais il ancre cette adresse dans un temps long, celui des origines de la Révolution américaine et celui, ouvert, du futur de cette nation et par-delà, de toutes celles qui veulent bien s’inscrire dans une même volonté, « (…) conçue dans la liberté et vouée à la thèse selon laquelle tous les hommes sont créés égaux. ».
Le message universel que ce président américain a lancé il y a plus de 150 ans est resté aussi célèbre pour sa définition de ce qu’est, de ce que devrait être un gouvernement qui découle de cette volonté : « par le peuple et pour le peuple », définition qui fut reprise dans la Constitution française de 1946.
On aurait beau jeu au lendemain des élections en Catalogne d’effectuer un rapprochement entre la volonté de sécession d’une région espagnole désirant se définir comme une nation et cette sécession américaine. Mais nulle guerre civile et nulle société esclavagiste ne vient interférer dans la réalité espagnole et catalane pour que l’on puisse s’y référer, quand près de 80% du peuple citoyen a participé à ces élections.
On pourrait alors penser à la construction européenne, sujette aujourd’hui à des tentatives de sécessions nationalistes d’une idée qui pourrait s’inscrire dans ce qu’Abraham Lincoln décrivait en ces termes : « Il y a quatre-vingt sept ans, nos pères donnèrent naissance sur ce continent à une nouvelle nation conçue dans la liberté et vouée à la thèse selon laquelle tous les hommes sont créés égaux. Nous sommes maintenant engagés dans une grande guerre civile, épreuve qui vérifiera si cette nation, ou toute autre nation ainsi conçue et vouée au même idéal, peut résister au temps ».
Mais l’Europe n’est pas une nation et aucune guerre civile n’est encore engagée dans l’Union, malgré les imprécations des extrêmes-droites européennes et les tensions qu’une crise aigüe en Grèce a ravivée, où une partie croissante des citoyens ne participe plus à l’exercice du gouvernement parce qu’ils ont l’impression que celui-ci ne gouverne plus de facto.
L’Europe a échoué à instituer un gouvernement par le peuple et pour le peuple, un peuple compris comme un ensemble de citoyens et non uniquement comme un ensemble d’individus formant un groupe défini comme homogène parce que fondé sur diverses caractéristiques, conçues comme devant être restrictives. Ce faisant, par une mise en abyme des paroles de Lincoln, on se demande bien comment cette Europe des marchands pourrait ‘résister au temps’ …
Non, la véritable sécession est justement celle que le peuple, celui des citoyens, est en train de mener à ses institutions et à ses partis politiques, une guerre sans nom, si ce n’est celui d’abstention.
Une partie croissante de ce peuple se sépare ainsi de ses idéaux de liberté et d’égalité, quand ce n’est pas de fraternité lorsqu’il se retrouve seul face à des vagues de migrations, instrumentalisées par ceux qui ne voient de frères que ceux qui appartiennent à un même peuple rabougri.
Déjà, nos représentants élus par le peuple, censés représenter cet idéal de gouvernement défini par Lincoln, doivent faire face aux conséquences de cette guerre, qui porte en elle, comme la nuée le ferait de l’orage, une extrême-droite en embuscade pour les Régionales prochaines.
Demain, nos représentants les plus importants dans le cadre de nos institutions politiques actuelles, nos Présidents de la République qui sont élus de manière croissante par une part de plus en plus restreinte du peuple des citoyens, seront-ils élus par une minorité ?
On aura beau jeu de rappeler que de multiples sécessions entretiennent cette guerre civique, que les minorités sans cesse plus restreintes des plus riches fomentent elles-mêmes la plus importantes des sécessions, celle de l’égalité, en se séparant du reste du peuple des citoyens, on aura beau jeu de rappeler que l’Europe est incapable d’assumer ce rôle historique qu’a bien défini Abraham Lincoln il y a plus de 150 ans de cela.
Mais c’est pourtant « (…) à nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre ».
La guerre de l’abstention est sans nul doute absurde puisqu’elle produit ce que le peuple dénonce.
Pour autant, sommes-nous condamnés à ne définir un gouvernement que par des représentants élus certes par le peuple mais par un peuple de plus en plus réduit, voir même de plus en plus tenté par l’option d’un peuple rabougri ?
Il y a urgence à redéfinir un gouvernement par et pour ce peuple en sécession : la capacité de décider par lui-même et pour lui-même.
PJ : « Un lecteur d’aujourd’hui de mon livre Principes des systèmes intelligents » Je pense que c’est le commentateur Colignon David*…