J’ai l’habitude d’attendre la semaine suivante avant de publier ici ma chronique dans le magazine belge Trends – Tendances. Je fais aujourd’hui une exception, le thème étant d’actualité. Ouvert aux commentaires.
Connaissez-vous les Cassitérides ? Non ? Pourtant c’est un endroit de villégiature qu’adorent les familles belges ! Quand ma sœur et moi avons découvert les Cassitérides en 1955, nous avons dit à nos parents : « C’est là que voulons aller en vacances ! Toutes les vacances. Et pour toujours ! » Et c’est là d’ailleurs que je réside en ce moment.
« Cassitérides » vient de ΚασσίτεÏος qui veut dire « étain » en grec, et on pense aujourd’hui que ces îles mythiques de l’Antiquité étaient la Bretagne et la région des Cornouailles en Grande-Bretagne où se trouvait l’étain dont les Phéniciens assuraient le commerce dans la Méditerranée.
Pourquoi les danses et la musique bretonnes et kurdes traditionnelles sont-elles à ce point semblables ? S’il y avait vraiment une centaine de mines d’étain aux Cassitérides, il n’y avait peut-être pas assez de main d’œuvre locale, ou bien le travail était trop dur au goût des gens du cru, et la paie trop maigre.
Mais tout cela est assez hypothétique, et il y a des histoires plus récentes que l’on connaît mieux. Mon père, dès qu’il était question des Gaulois disait : « Oui, mais nous les Jorion, nous somme des Francs ! ». Pourquoi disait-il cela ? Il n’en savait rien mais pour la même raison sans doute que chaque fois qu’il était question de Gaulois, son propre père le disait, et le père de celui-ci avant lui, etc. Et si l’on consulte la carte, il n’y a là rien d’invraisemblable : la famille Jorion se trouve toujours concentrée au sein du triangle Mons-Tournai-Valenciennes, à l’endroit précis où les Francs saliens de Clodion vinrent s’établir vers 440, en provenance de la région au sud du Zuyderzée en Hollande, où ils ne s’étaient d’ailleurs installés que quarante ans plus tôt.
À quoi ressemblaient ces « invasions barbares » ? Les grandes batailles sont venues plus tard, et il s’agissait sans doute plutôt de foules en mouvement sur les routes, n’ayant avec elles pas grand-chose de plus qu’un baluchon parce qu’il faut porter les bébés et les enfants fatigués, et qui finissent par s’arrêter quelque part parce qu’ils sont tous épuisés, incapables d’aller plus loin.
Pourquoi ces gens se déplaçaient-ils en masse ? Certains pour des raisons économiques : pour travailler dans les mines par exemple. Rappelez-vous des morts du bois du Cazier à Marcinelle en août 1956 : 136 Italiens aux côtés de 95 Belges ; on lit sur Wikipédia : « les mineurs calabrais étaient souvent engagés par villages entiers ». Ou poussés par les guerres : parce qu’ils fuyaient des troupes semant la mort. Les Francs saliens arrivent dans l’Ouest de la Belgique et dans le Nord de la France, pressés dans le dos par les Vandales, les Suèves, les Burgondes, fuyant eux devant les Huns d’Attila. Huit siècles plus tard, d’autres populations fuiront en masse devant Genghis Khan. Et aujourd’hui d’autres encore fuient à cause d’autres personnages dont le nom s’étale à la une de votre journal ou magazine préféré.
Pourquoi vous raconter ces histoires de l’ancien temps ? Pour vous rappeler qu’après un grand tumulte, les aventures des grandes migrations finissent bien en général.
L’herbe ne repoussait pas là où Attila était passé, dit-on. Alors, quand on a une famille, on fait comme les aïeux Jorion : on prend ses jambes à son cou ! Et on se retrouve un jour à camper pendant des semaines dans un champ détrempé, d’où l’on aperçoit la première cathédrale de Tournai en train d’être bâtie. Avec ses valises crevées, et son espérance d’un monde où l’on puisse vivre autrement que dans l’horreur.
Ces réfugiés là n’ont pas trop mal réussi. Ils se sont « intégrés » comme on dit. Au point même de donner leur nom à un pays grand comme la France. Et c’est comme ça en réalité que se terminent d’habitude les « invasions barbares ».
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