Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Dans un article récent (en anglais), titré « Pourquoi la Chine retourne-t-elle au confucianisme ? », le Wall Street Journal analyse les raisons qui poussent le Président chinois Xi Jinping à utiliser les anciennes traditions, pour asseoir la nouvelle puissance chinoise. Un retournement paradoxal, pour qui se souvient de la révolution culturelle et de ses slogans visant à abattre « la boutique de Confucius ».
Mais le paradoxe n’est qu’apparent, et il se dissipe rapidement si l’on prend en compte la situation complexe à laquelle doivent faire face les autorités chinoises. En effet, entre les krachs boursiers, le ralentissement de la croissance économique, les nombreux mouvements sociaux, la corruption endémique, – sans même parler de la province « rebelle » du Xinjiang ou des « séparatistes » tibétains -, il est clair que le pacte tacite entre le parti-état et le peuple, devient de plus en plus difficile à tenir. Car si, comme prévu, les libertés individuelles brillent toujours par leur absence, l’enrichissement personnel qui était promis en compensation, commence à donner de sérieux signe d’essoufflement.
Sous ces conditions, les dirigeants chinois, étant bien plus pragmatiques qu’idéologues, un savant mélange entre nationalisme et retour aux traditions politiques et sociales du Confucianisme, peut apparaitre comme une partie de la solution. Après tout, ça ne serait pas la première fois qu’un pouvoir fort (peu démocratique), s’appuierait sur la fierté d’un passé national plus ou moins fantasmé, plus ou moins bricolé, pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Pourquoi se priver d’un levier si efficace ? Et d’ailleurs, n’est-ce pas sous nos latitudes autrement plus démocratiques, qu’un Président de la république parlait il y peu, de réintroduire le « roman national » à l’école ?
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Parle-t-on simplement de politiciens dévoyés et de manipulation des foules ? Ou bien, n’y-a-t-il pas là quelque chose de bien plus profond ? Une chose qui nous définirait comme êtres humains, en tant qu’elle décrirait ce qui fait notre spécificité.
Pourtant, nous ne sommes pas le sommet de l’évolution, concept absurde s’il en est. Il n’y a aucun déterminisme dans la théorie néo-darwinienne. Nous ne sommes, avec les autres grands singes, qu’une des innombrables ramifications du buisson du vivant sur cette planète. Et pourtant, à l’heure où les géologues discutent de la pertinence de nommer anthropocène un nouveau chapitre de l’histoire de la Terre (poubellocène est également proposé), nous ne savons toujours pas nous définir. Ou par défaut, en disant que l’homme a su développer des capacités (langage articulé, outils, cultures) qui existent à l’état plus ou moins latent chez bon nombre d’autres espèces.
Alors ?
Alors, la spécificité de notre espèce, ce qui nous différencie des autres formes de vie sur cette planète, réside dans notre fantastique capacité à pouvoir partager un même imaginaire. C’est l’émergence de cette capacité qui nous sépare réellement de nos frères primates. Et pour prendre les espèces que nous considérons comme intelligentes, il ne viendra à l’idée d’aucun dauphin, poulpe, corneille ou autre chimpanzé de coordonner ses agissements avec ses semblables, en fonction d’artefacts intellectuels (sol sacrée de la patrie, confucianisme, droits de l’homme, etc.). Essayez donc de convaincre l’un d’entre-eux, de se faire sauter avec une ceinture d’explosifs pour aller au « paradis » !
C’est donc, – au moins autant que la maitrise du feu ou de l’outil -, cette incroyable capacité que nous avons à partager un même imaginaire, qui explique notre actuel succès évolutif. Capacité aux résultats catastrophiques lorsque les masses marchent au pas ou que la Religion Féroce s’impose à tous, mais formidables lorsque le but est la recherche désintéressée du savoir et du bien commun.
Un dernier point, mais d’importance : cette émergence propre à notre espèce, est impossible à prédire en observant le monde animal. Elle est irréductible, en ce sens qu’elle ne peut pas être déduite de l’observation de son substrat. Si les animaux (voir différentes espèces), peuvent partager un objectif et coopérer pour son atteinte, aucun d’entre eux n’est capable de partager comme nous le faisons, son univers mental, ses rêves… et ses cauchemars. Cette radicale nouveauté, s’appelle une émergence. Impossible à prédire. Irréductible à l’observation.
Vous aurez déjà compris que nous sommes en conséquence, réduits à l’observation de notre nombril , à nos fantasmes et à nos peurs, pour imaginer l’IA. Tels des chimpanzés qui pourraient désirer décupler leur force et leur adresse, mais qui ne sauraient imaginer ce qu’est un homme, nous autres homo-sapiens, sommes bloqués à notre niveau de conscience, et n’avons aucun moyen de savoir ce que sera la très probable émergence d’une IA. Quant à espérer pouvoir la comprendre…
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