Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Bonjour Monsieur Jorion
Cela fait plusieurs années que je lis votre blog et que parfois, j’alimente la « tirelire » pour assurer la vie économique de ce site.
Je suis bien navré de votre déconvenue professionnelle, qui prouve que vous êtes craint et gênant, ce qui est le signe de votre victoire : vos idées percolent dans la société.
J’ai aussi un parcours professionnel atypique qui m’a permis de me poser des questions sur notre monde.
J’ai 46 ans et j’ai grandi avec cette ambiance délirante du néolibéralisme qui, depuis les années 80, glorifie l’individualisme, le court terme et le mercantilisme.
J’ai vu le monde associatif et bénévole s’épuiser face aux assauts réglementaires et commerciaux. « Divisons et régnons » telle est la devise néolibérale.
J’ai vu toute la mythologie des écoles de commerce, des golden boys, des yuppies et PDG de start-up, ces success stories et autres contes et légendes. J’ai vu mon père être mis en préretraite d’office chez IBM France, une très bonne boite, mythique dans les années 1970, une simple SSII en 2010.
Je suis docteur en physique et comme mes petits camarades de l’époque, on m’a dit d’être mobile géographiquement et thématiquement, un euphémisme, une expression de novlangue pour nous inviter à partir voir ailleurs et de nous débrouiller seul.
J’ai travaillé pendant une année dans une SSII rachetée par un fond de pension anglais début 1999. Les débutants, moins productifs ou en formation, furent licenciés à la fin de l’année pour atteindre les objectifs demandés par les nouveaux actionnaires anglais …
Et en 2000 je démarre au Luxembourg comme analyste programmeur Java dans une boite qui vend un gros logiciel de gestion bancaire. C’est la découverte du « private banking », de la gestion de fonds privés des « gens persécutés par leur fisc national », mais aussi, lors d’une étude pour un projet spécial de « la couverture de risque » et des « produits dérivés ».
Le physicien que je suis, s’amuse de voir un système mathématisé à outrance, l’utilisation d’un traitement de texte LaTex et de l’alphabet grec donne une illusion de scientificité. Mais ce système est fortement non linéaire, avec de jolis effets de seuils qui en physique, rappellent un tas de sable avec ses avalanches.
Cette mathématisation qui bloque 5 paramètres dans un modèle à 7 paramètres pour que le modèle corresponde à la théorie, et pas la réalité, me rappelle l’astrologie. Ce système est aussi complètement non conservatif, par création de monnaie à profusion, basée sur la dette et le pari.
Ma conclusion de l’époque était « si on a du pognon, on gagne à tous les coups » mais ce système était condamné à sa perte.
J’étais déjà dubitatif face au discours officiel : je sentais bien que, depuis tout petit, on me trompait avec le néolibéralisme, ce système n’est pas efficient à long terme.
Déjà, le choc pétrolier de 1975 ne correspondait pas à la hausse du chômage, alors qu’on m’expliquait dans les média qu’il en était le déclencheur. Plus tard j’ai découvert que la cause était la dérégulation de la finance, et d’ailleurs, les indices boursiers décollent tous à cette époque.
En 2003, la mode était l’achat immobilier en France : mes jeunes collègues étaient fiers d’avoir négocié un excellent taux pour le prêt pour leur logement, sauf que je trouvais le prix du dit logement très excessif.
Puis j’en ai eu marre de prostituer mon cerveau pour le Grand Duché : en septembre 2003 je provoque mon licenciement, et démarre la préparation du Capes de physique chimie en candidat libre, parce que j’estime être redevable à l’État Français qui a payé une partie de mes études doctorales et parce que « enseigner » a du sens pour moi.
Mes divers déménagements, imposés par l’Éducation Nationale, m’ont protégé de la bulle spéculative immobilière, je n’ai pas eu le temps, ni les moyens de m’endetter pour un logement.
Je me demandais cependant pourquoi les gens ne savaient plus compter : acheter plus de 1 million de francs (150 000 euros) de simples maisons en parpaing dans n’importe quel bled de France me sidérait.
C’est en essayant de comprendre d’où venait ce délire collectif que j’ai découvert le forum Bulle Immobilière puis votre blog et que j’ai pu structurer mes diverses réflexions car il me manquait une culture financière et certaines informations.
En juin 2007, j’assistais au début de la chute de la bourse de New York et les gens se moquaient quand je disais que c’était la fin … En 2010, j’avais aussi dit que la Chine ne durera pas, et on voit maintenant qu’elle s’effondre.
J’explique aussi à des collègues que l’Allemagne pousse son chant du cygne, mais les gens ont du mal à y croire. Idem pour la bulle spéculative immobilière : mais maintenant, plus personne ne me prend pour un plouc parce que je suis locataire de mon appartement …
Depuis cette époque, pour mon plus grand bonheur, je suis enseignant, agrégé de physique, dans un lycée du Haut Rhin, à moins de 1 km de Bâle … Cette ville suisse dont j’entendais parler à Luxembourg pour la réglementation bancaire, une ville où je n’aime pas aller : dans la partie française de la douane à la gare de Bâle, il y a des barbelés, et le hall semble dater de 1940 tellement c’est vieux.
En écoutant les gens parler dans les trains, les magasins, je constate que vos idées percolent, infiltrent la Société. Le sociologue que vous êtes sait sans doute mieux que moi interpréter ces indices faibles annonciateurs d’une révolution de pensée …
Donc vous avez gagné.
Comptez sur mon modeste et sincère soutien.
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