Emploi, entre raréfaction et mutation, par Michel Leis

Billet invité.

Le 11 septembre aura lieu à l’usine Smart d’Hambach un référendum sur le retour aux 39 heures. Comme toujours, ce type de consultation s’accompagne de la carotte et du bâton : d’un côté la promesse d’une augmentation de 120 € bruts pour les salariés, de l’autre des questions sur le futur du site et le passage (ou non) en CDI pour 50 salariés. La masse salariale va augmenter de plus de 140 000 €, soit près de 5 millions d’euros sur 3 ans. Compte tenu des montants, pourquoi choisir le travail salarié plutôt que d’installer des robots ?

Une première réponse réside dans le coût des robots industriels, il est douteux qu’un investissement équivalent dans l’automatisation aboutisse au même résultat, c’est-à-dire une augmentation de la production de l’ordre de 12 à 15 %. L’automatisation des tâches qui ne le sont pas encore a un coût élevé, en dépit des progrès de la technique.

Il est probable qu’une autre raison explique ce choix. La volatilité de la demande est telle que la visibilité sur les plans de production n’est que de quelques mois. Dans ce secteur comme dans d’autres, les prévisions stratégiques peuvent être totalement démenties par les faits. Si dans 6, 12 ou 18 mois la production doit être revue à la baisse, il sera beaucoup plus facile de revenir à 35 ou 32 heures, voire de supprimer des postes.

Dans l’industrie, le travail humain reste un élément de flexibilité important : dans les volumes, quand la demande est fluctuante, dans les finitions, pour proposer de la diversité au client. Le travail est un coût variable quand la machine reste un coût fixe qu’il faut amortir et financer. C’est pour cette raison que l’emploi se raréfie, mais ne disparaît pas dans l’industrie.

Les services répondent à une logique différente. Si la capacité à répondre à la demande résulte d’un processus de planification, il n’y a pas de stockage dans la « production » de services. Si aucun client ne se manifeste, le salaire est souvent vu comme un coût fixe par l’entreprise. Pour augmenter les profits, deux stratégies sont mises en œuvre simultanément. D’une part, le client est mis à contribution et réalise le travail autrefois dévolu aux employés (les automates de vente, le commerce en ligne). D’autre part, de plus en plus de services sont exécutés par des individus en fonction du besoin et payés à la tâche, dans un système qui combine nouvelle technologie pour distribuer le travail et une forme d’organisation antérieure au salariat. C’est la fin de l’emploi, remplacé par une forme de sous-traitance généralisée, dans une logique qui a largement profité aux entreprises dominantes. Plus de salaires, les mécanismes de protections sociales collectifs disparaissent et deviennent une responsabilité individuelle, dans une logique libérale.

Dans l’industrie, l’emploi devient la variable d’ajustement par excellence qui garantit une flexibilité maximum. Dans les services, l’emploi disparaît au profit du travail à la tâche, dans un système où l’individu devient un sous-traitant, par nature totalement dépendant des rapports de forces imposés par son donneur d’ordres. Au-delà de la raréfaction de l’emploi, la disparition des protections offertes par le Code du travail accélérerait une mutation qui s’opère au seul bénéfice des entreprises dominantes. C’est l’enjeu d’un lobbying intense qui invoque l’émergence de « la nouvelle économie » pour nous renvoyer à l’époque des manouvriers.

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