LE TEMPS QU’IL FAIT LE 27 AOÛT 2015 – (retranscription)

Retranscription de Le temps qu’il fait le 27 août 2015. Merci à Olivier Brouwer.

Bonjour, nous sommes le jeudi 27 août 2015, et quand je fais cette vidéo un jeudi plutôt qu’un vendredi, vous connaissez la raison : c’est parce que je suis sur la route le vendredi. Et effectivement, demain, je pars assez tôt, et en fin de journée je me retrouverai à Namur, parce que je parle à Namur samedi. En cours de route, j’accorderai une interview à un journaliste d’un grand quotidien, et, également, j’irai signer quelques exemplaires du livre Penser tout haut l’économie avec Keynes chez Odile Jacob, l’éditeur. On signe quelques exemplaires pour envoyer aux messieurs-dames de la presse, en espérant que cela les disposera favorablement à faire une critique positive du travail qui a été fait.

Donc, samedi, je parle à Namur et il y a un débat, et la question, c’est celle du rapport entre les entreprises et, je dirais, le bien commun, et tout à l’heure, j’ai émis quelques réserves quant à la manière dont le sujet allait être abordé, parce qu’on m’a dit que, voilà, on découperait ça en trois tranches, et ces trois tranches, malheureusement, ne comprenaient absolument pas les aspects que je voulais souligner. Par exemple, comme vous y pensez bien, la disparition du travail et la manière dont il faut comprendre l’entreprise dans cette perspective-là, et aussi la financiarisation des entreprises, c’est-à-dire le rôle joué de plus en plus par le capital et de moins en moins par des acteurs humains. Voilà.

Le lendemain, dimanche, le 30 [août], je passe par Paris, et à Paris, je participe à une émission de France Inter, une émission intéressante. Je suis l’invité de Stéphane Paoli. J’ai déjà été plusieurs fois son invité dans le cadre de l’émission qui s’appelait : « 3D », mais l’émission change de format : c’est une émission qui devient un dialogue entre un représentant de la société civile – qui en l’occurrence sera moi-même – et un représentant (ou une représentante) du monde politique, et qui, en l’occurrence, sera Madame Valérie Pécresse. Alors, vous la connaissez peut-être de réputation, et c’est une personne que je qualifierai de très compétente et de redoutable. Redoutable, parce qu’il m’arrive, dans des débats, de rencontrer des personnes qui sont des personnes qui peuvent éventuellement être extrêmement connues, mais dont j’ai le sentiment qu’il n’est pas trop difficile de contrer leurs arguments et de convaincre le public de la vérité de ce que j’avance. Et Madame Pécresse, c’est une personne extrêmement cohérente, qui a un discours qui tient debout, qui tient la route, qui n’est pas celui que je tiendrais moi-même, mais il s’agit d’une personne avec qui un dialogue me demandera d’être au meilleur de ma forme, j’en suis convaincu ! Voilà.

Alors, ça c’est pour l’actualité immédiate. Vous verrez, dans la semaine qui vient, je me rends à nouveau à Paris mais c’est pour France Culture, cette fois-ci. Ça s’appelle : « La grande table » où, aussi, on a l’amabilité d’accorder une importance certaine à la sortie de ce livre sur Keynes, et surtout sur la manière de rebâtir une pensée économique à partir de Keynes, ce qui est la chose que j’ai essayé de faire.

Je regarde mon petit papier, parce que je m’étais dit : « Il y a quelque chose d’autre dont je voudrais parler, plutôt que de l’actualité ». Et c’est une petite inquiétude que j’ai eue ce matin même. Vous le savez, j’ai fait de mon côté de l’intelligence artificielle il y a un certain temps. Le sujet m’intéresse toujours. Encore que quand je dis : « Un certain temps », c’est essentiellement dans les années 1987 à 1990, donc, voilà, c’est il y a longtemps ! Mais je m’intéresse beaucoup à ce qui a été fait dans le domaine et qui continue d’être fait. Je vous ai signalé, à l’époque, c’était, je ne sais pas, c’était il y a quelques mois [en décembre 2014], un dialogue que j’avais eu avec un chercheur de Google, de la compagnie Google, qui travaille sur ces grandes bases de données qu’on essaye de rendre intelligentes. Et ce matin, j’avais une autre discussion, avec un spécialiste de la robotique, cette fois-ci. Et une fois de plus, la discussion devient rapidement passionnante, parce que c’est quelqu’un qui connaît très bien son sujet. Il travaille pour une firme commerciale mais qui produit des robots extrêmement intéressants, dans des univers où ils interagissent avec des êtres humains, et donc il faut qu’ils comprennent un petit peu ce qui se passe là, il faut surtout qu’ils ne les blessent pas, il faut qu’ils puissent interpréter l’interaction qu’il y a entre eux.

Et alors, immédiatement, il me vient une interrogation. Et cette interrogation, c’est la suivante, et ça me rappelle quelque chose dans la vie de Keynes, un événement auquel Roberto Boulant a parlé dans le dernier billet qu’il a consacré à mon livre, dans ces petites notes qu’il fait à ce sujet : c’est le fait que pendant la première guerre mondiale, en 14-18, eh bien, Keynes est recruté par le ministère des finances, et on lui pose des questions extrêmement intéressantes sur la manière de gérer une économie de guerre, dans un pays en guerre – la Grande-Bretagne est en guerre avec l’Allemagne, aux côtés d’autres alliés. Et alors, voilà ce que les amis de Bloomsbury, ces artistes qui sont le milieu que Keynes affectionne, lui disent : « Est-ce que tu ne te laisse pas fasciner, comme le chevreuil dans les phares de l’automobile, par la complexité et l’intérêt des problèmes que tu te poses, sans soulever les questions morales qui y sont associées ? » Et immédiatement, quand je termine cette conversation avec cette personne, je me pose la question : est-ce qu’il n’y a pas très rapidement quelque chose de l’ordre de ce que j’appellerais le « syndrome Eichmann », qui est de dire, quand on lui reproche la participation qui a été la sienne dans l’extermination de la Shoah, de dire : « Eh bien, j’ai suivi les ordres ».

Et ce qui m’a fait penser à ça récemment, c’était une conversation. Une conversation avec un jeune couple de médecins, qui font un boulot très intéressant : ils aident des gens dans des situations, je dirais, souvent assez difficiles. Et il y avait d’un côté le monsieur, médecin, et sa femme, médecin. Et on parlait des cas difficiles, les cas sociaux : quand on dépasse un petit peu, je dirais, le cadre de la médecine. Et la dame, la doctoresse, disait : « Eh bien, on improvise, voilà ! » Elle n’a pas dit : « C’est le cœur qui décide », mais c’est un peu ça qu’elle voulait dire. Et le monsieur, son mari, lui, il a dit autre chose. Il a dit : « Dans des cas difficiles de cet ordre-là, il y a le protocole. Il y a un protocole qui vous dit ce qu’il faut faire, et ça, ça nous tire d’affaire, en général. »

Et ce protocole – je n’étais pas le seul, nous étions plutôt de l’ordre de la demi-douzaine, dans cette discussion-là – cette notion de protocole, qui est la chose vers laquelle on se tourne quand le cœur et la raison entrent en conflit, éventuellement, pour une raison ou pour une autre, ça nous a fait peur à certains. Et j’ai pensé au syndrome Eichmann. La tentation qui est la nôtre de considérer qu’un problème est un problème purement technique.

Et il n’y a pas que cette situation-là, récemment, qui m’a fait penser à ça. [Dans] certains aspects des discussions que nous avons dans ce Haut-Comité d’experts pour l’avenir du secteur financier en Belgique, parfois aussi, la tentation existe de cacher les questions essentielles derrière leur technicité et de vouloir résoudre les questions d’un point de vue purement technique.

Le sommet, la caricature de cela, c’est bien entendu ce qu’on rencontre dans l’ultralibéralisme, c’est cette tentation de résumer l’ensemble des problèmes qui se posent à nous sous forme de nombres, d’équations, et de dire : « Voilà, c’est ce qui rapporte le plus qui est nécessairement du côté du juste. » Et à ce propos-là, je vous renvoie à l’ouvrage d’Alain Supiot, qui est vraiment un ouvrage incontournable, La gouvernance par les nombres, qui montre comment nous avons accepté, entre les années 1950 et maintenant, de nous transformer nous-mêmes en simples équations qu’il s’agit de résoudre en mettant entre parenthèses ce que Kant appelait : « des dignités », [ce] qu’on appelle : « les valeurs », [ce] qu’on appelle parfois : « l’honneur », des choses de cet ordre-là, « les vertus ». Voilà.

Alors, eh bien, tout ça : dignité, valeurs, vertus, il faut que ça revienne au premier plan.

Voilà ! Allez, à bientôt !

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