LES TEMPS QUI S’ENGAGENT, par François Leclerc

Billet invité.

Il faut remonter à 2008 pour trouver une telle chute boursière mondiale. Hier, elle était accompagnée de mouvements massifs sur les marchés des matières premières et des changes. Sur celui des actions, elle avait débuté sur les Bourses asiatiques avant de se propager aux États-Unis, puis en Europe. Cette nuit, la Bourse de Shanghai a encore dévissé, puis Tokyo a chuté à nouveau, et ce matin les bourses européennes ne récupéraient que partiellement leurs pertes de la veille.

Ce brutal et massif mouvement de retrait traduit la profonde inquiétude des investisseurs. Disposant d’énormes quantités de liquidités – on parle de 20.000 milliards de dollars flottants – en raison notamment des injections massives de liquidités des banques centrales, ceux-ci se sentent vulnérables devant la perspective d’une possible récession mondiale, en raison d’une forte baisse de la croissance chinoise que l’on ne sait même pas chiffrer.

Certains analystes évoquent une sur-réaction et des investisseurs comme Apple, soucieux de se protéger, font état de leur confiance dans la croissance chinoise. Les chefs d’État tentent de leur côté de calmer le jeu. Mais ce n’est que façade. Quelle que soit la rudesse de l’atterrissage que la Chine va connaître, la masse mondiale des liquidités continuera pour une raison ou pour une autre de connaître des mouvements brusques, déséquilibrant à chaque fois le système financier.

On ne voit pas comment les banques centrales pourraient « stériliser » – pour employer leur expression – les liquidités qu’elles continuent par ailleurs d’injecter pour deux d’entre elles, la Banque du Japon et la BCE. Leurs instruments classiques apparaissent totalement dérisoires par rapport à l’ampleur de la tache qu’elles devraient accomplir. Sans compter la manière dont les marchés réagiraient, dont leur réaction précédente à une simple levée des taux de la Fed a déjà donné une idée ! Le système financier est devenu dépendant du crédit quasi gratuit et ne veut plus s’en passer. Avec une croissance économique réduite pendant une longue période, c’est une des données de base de la période qui s’est engagée. S’y ajoute la vulnérabilité renforcée d’un système financier, résultat de son hyper-croissance.

Chez les investisseurs, le sentiment dominant est que la crise n’est pas finie et que de nouveaux accès de fièvre aigus surviendront, sans savoir d’où ils proviendront. La machine ne fonctionne plus comme avant et personne ne dispose du nouveau mode d’emploi. Comme tout phénomène imprévu, la chute mondiale du marché boursier est qualifiée « d’irrationnelle », faute d’en trouver l’explication dans le manuel. Mais est-ce vraiment le cas, si l’on considère l’important hiatus existant entre d’une part le prix élevé des actions et les phénomènes de bulle boursière enregistrés, et de l’autre les faibles perspectives de croissance de l’économie réelle ? Dans cette perspective, nous assistons à un ajustement à grande échelle déstabilisant les investisseurs : ils enregistrent leurs pertes et voient se rétrécir les marchés où ils peuvent placer en sûreté leurs liquidités.

Il est attendu des autorités chinoises des décisions qui se font attendre. La Banque centrale n’est pas intervenue ce week-end, ainsi qu’espéré, comme si elle avait décidé de cesser des interventions dont le coût s’élève à des dizaines de milliards d’euros mais n’ont été que de peu d’effet. Leur crédibilité est atteinte, le vieux système étant à bout de souffle, mais faisant obstacle, et le nouveau étant utilisé par des apprentis, décevant les attentes occidentales.

La chute de la croissance chinoise va avoir de sensibles répercussions, accentuant les poussées déflationnistes aux États-Unis et en Europe et pesant sur la croissance, ce qui rendra plus douloureux le désendettement public et privé. Selon McKinsey Global Institute, la dette globale pesait 286% du PIB mondial en 2014, contre 269% en 2007. Elle ne cesse depuis d’augmenter, plus vite que ne croît l’économie. Telle est la dernière donnée de base des temps qui viennent.

C’est de la Chine, dont il était attendu la solution, que survient un problème de plus.

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