Les lecteurs du blog qui m’écrivent, soit pour me blâmer, soit pour me féliciter, d’avoir écrit un livre à paraître à la gloire de Keynes-l’économiste, auront une désagréable surprise : Keynes apparaît sous ma plume comme un économiste de plus à s’être révélé incapable de lire les rapports de force au sein des mécanismes économiques. Marx l’a fait bien entendu, mais a malencontreusement voulu en exonérer la formation des prix. C’est Aristote seul qui, en son temps, a fait du rapport de force entre acheteur et vendeur l’essence-même du prix. Keynes a lui malencontreusement extrapolé ses cogitations de boursicoteur et de spéculateur en modèles de la formation du prix ou du taux d’intérêt, oubliant qu’il y a quelqu’un en face qui voudra que le prix ou le taux lui soit plus favorable que celui qu’escompte Maynard en tant qu’acheteur ou vendeur, en tant qu’emprunteur ou prêteur. « Maynard ! T’es pas tout seul ! T’as oublié qu’il s’agit dans les affaires et dans tous les cas de figure, d’un bras de fer ! »
Je suis donc pleinement conscient que dans ma tentative de proposer de nouvelles bases à la réflexion économique, je n’ai à espérer aucune sympathie de la part des économistes hétérodoxes se qualifiant de « keynésiens », « néo-keynésiens », « post-keynésiens », etc. ayant volé dans leurs plumes (ou m’apprêtant à le faire le 2 septembre !).
« Paul, t’es pas tout seul ! », non plus cependant ! « D’abord, il y a à tes côtés tous les anthropologues économiques (sauf les traîtres à notre cause ! 😀 ), et puis d’autres, les juristes par exemple… »
Il faut souligner le lien étroit […] établi entre, d’une part, un engagement politique ultralibéral et, d’autre part, la croyance dans la scientificité de l’analyse économique. Pour asseoir cette croyance dans l’opinion et dans les milieux scientifique, ces économistes ont obtenu la création en 1969 du prix Nobel d’économie, qui compte parmi ses lauréats de nombreux membres de la société du Mont-Pèlerin, tels Milton Friedman, Ronald Coase et Gary Becker. Le petit-fils d’Alfred Nobel a dénoncé en 2001 cette contrefaçon, estimant que « la Banque royale de Suède avait déposé son œuf dans le nid d’un autre oiseau » afin de légitimer les thèses défendues par les économistes de l’École de Chicago.
(Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Poids et mesures du monde, Fayard 2015 : 186-187).
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