Retranscription de Le temps qu’il fait le 24 juillet 2015. Merci à Olivier Brouwer !
Bonjour, on est le vendredi 24 juillet 2015. Et hier, en voyant le billet de Philippe Soubeyrand sur la transition énergétique et sur ces dates fantastiques qu’on nous donne en disant : « Voilà, on va baisser la consommation de ceci pour 2030 et on va s’arranger pour qu’il y ait beaucoup moins de ceci ou de cela en 2050… » Et on sait, nous savons que c’est vraiment dans les années qui viennent et pas à l’échéance de vingt ans, trente ans qu’il faut changer les choses radicalement.
Et lui, il explique ça par l’influence, essentiellement, des lobbies. Et les lobbies sont, oui : ils sont là, mais j’ai l’impression qu’il y a quelque chose encore de plus, je dirais de plus tragique au niveau de notre espèce ! Je suis en train d’écrire ce livre qui s’appelle : « Le dernier qui s’en va éteint la lumière ». C’est amusant, un petit peu, parce que bon, je dois me préparer surtout aux interviews qui vont venir à propos du bouquin sur Keynes, sur une réflexion sur la pensée économique avec Keynes, comment refaire ça, comment commencer à penser l’économie autrement, mais en fait, je suis absolument plongé dans ce bouquin, « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », et je pensais la chose suivante. L’année dernière, il y avait un livre qui devait sortir, et puis ça nous paraissait, à nous, les deux auteurs, ça nous paraissait essentiel que ça sorte avant les élections européennes, pour essayer de peser un petit peu sur la discussion, et l’éditeur nous dit : « Mais vous n’y pensez pas ? Il y a Roland Garros ! »
Et alors, vous vous dites : « Moi je m’active pour essayer d’empêcher un écroulement généralisé, et puis on me dit : ‘Oui mais vous n’y pensez pas, il y a Roland Garros’ ». Et ce qui me revenait à l’époque, c’était dans le livre, ce splendide livre de [Gérard] Simon sur Kepler : « Kepler, astronome astrologue ». Et c’est Kepler qui est en train de calculer pour la première fois les orbites des planètes dans une perspective héliocentrique (avec le Soleil au milieu), et il remplit 800 pages de brouillons pour calculer l’orbite de la planète Mars, et pendant ce temps-là, c’est la guerre civile, c’est la guerre de religions en Allemagne. Et il écrit ça, je ne sais plus, au troisième étage, et on est en train de s’égorger au rez-de-chaussée, et ça fait beaucoup de bruit, et il est là à se dire (on le sait parce qu’il l’a écrit !) : « On peut pas travailler tranquille ? On ne peut pas travailler tranquille ! Il faut vraiment qu’il y ait des protestants et des catholiques qui s’égorgent dans les étages ? »
Et là, ce n’était pas une question de lobbies. L’explication, je crois que c’est la chose suivante : c’est que (et c’est souligné par Servigne et Stevens dans leur livre, mais enfin, ils ne sont pas les premiers à avoir parlé de ça, [il y a d’autres] livres qui sont consacrés à l’écroulement, il y a celui de Jared Diamond et puis un autre très important dont j’oublie malheureusement l’auteur [Joseph Tainter], qui attirent notre attention [là-dessus]), eh bien, on le sait : « les élites » – les élites entre guillemets, bien entendu, c’est une expression, disons les gens les plus riches – dans toutes les sociétés sont les gens qui sont les mieux protégés contre les effondrements. Il se trouve que, dans la plupart des sociétés aussi, c’est eux qui prennent les décisions, et donc ils sont les derniers à se rendre compte que c’est en train de s’écrouler. Et quand ils prennent la décision, eh bien voilà, qu’ils soient grands administrateurs mayas ou autre chose du même genre, ou un dirigeant de Troïka, au moment où ils s’aperçoivent que c’est râpé – enfin que ça va très très très mal – en fait, c’est râpé depuis très très longtemps. Et je mets entre parenthèses le fait de savoir si il y a vraiment très longtemps qu’on aurait dû prendre les décisions.
Ce qui a changé en moi, je dirais, à la lecture du bouquin de Servigne et Stevens, leur petit traité de collapsologie, « Tout est en train de s’effondrer » [« Comment tout peut s’effondrer »], c’est le fait que je me rende compte de plus en plus qu’en fait, les décisions, le Grand Tournant, le Grand Tournant, il n’est pas maintenant. Le Grand Tournant, il a eu lieu à la fin du XVIIIème siècle, début du XIXème siècle, et ce n’est même pas une question de nos parents qui se sont engagés dans une voie de garage, ce sont leurs arrière-grands-parents à eux, on remonte quand même un nombre (ça nous fait quoi ? Allez, 1800… De 1800 à 2015, à raison de trois générations à peu près par siècle), ça nous fait pratiquement sept générations. Donc ce n’est pas de notre faute, ce n’est pas de la faute de nos parents, ce n’est pas la faute de nos grands-parents. Les très mauvaises décisions – la décision de se gorger essentiellement de pétrole sans y réfléchir, sans se demander ce qui se passerait quand il n’y aurait plus de pétrole, eh bien, c’est à ce moment-là que ça a été pris.
Alors, eh bien, nous, on peut faire ce qu’on peut, avec ou sans lobbies, mais il y a le frein, il y a le frein de nos z’élites qui sont encore dans leur rêve de « tout se passe comme avant, ça ne fait pas de différence », ou alors, des rêves à la Elysium, ce film, vous vous souvenez, où les ploucs restent sur la terre à s’entre-égorger dans la misère et les riches sont en altitude dans une grande station spatiale. Mais de toutes manières, c’est mal barré.
Alors, qu’est-ce qu’il faut faire ? Eh bien, il faut continuer, quand même, à faire quelque chose, on ne peut pas simplement… Encore que je m’aperçoive que je passe de plus en plus de temps dans mon jardin, en fait, quand même, et à faire des choses qui sont, je dirais, notre rapport immédiat à la planète, ou en tout cas à ce qu’il en reste. Je suis content, cette année-ci, je vois un peu plus d’insectes. Voilà, ça, ça fait quand même plaisir. Est-ce qu’on serait en train de prendre quand même des mesures à un certain niveau ? Ça fait plaisir. Bon, on n’est pas revenus au niveau d’insectes qu’on connaissait quand j’étais jeune et que je pouvais passer une après-midi entière dans un jardin à regarder ce qu’il y avait là, mais ça repart un tout petit peu.
Enfin voilà, le monde s’écroule, mais il ne faut pas que ça interfère avec le calendrier de Roland Garros parce qu’il faut quand même that we got our priorities right comme on dit en anglais, que nous ayons nos priorités dans le bon ordre. Quand on voit le vote de cette loi sur la transition, on s’aperçoit que nous n’avons pas encore su mettre les priorités dans le bon ordre, mais le temps passe. Voilà, j’ai commencé à dire des choses de cet ordre-là sur des vidéos, c’était il y a sept ans, et malheureusement, on n’est pas parti dans la bonne direction.
Ces jours-ci, je suis en train de faire une série d’articles, de textes, vous les voyez quand je les mets en ligne, sur le fait par exemple que la finance (et je pense à la finance en particulier parce que bon, c’est quand même un domaine où on reconnaît mon expertise), il y a tellement de choses qui ne marchent pas ! En fait, c’est tout à fait extraordinaire quand il y a des périodes, je dirais, de quatre ou cinq ans, où ce truc peut marcher. C’est un tel foutoir ! Enfin, j’en fais le relevé, comme ça, que ce soient des hommes ou des robots qui liront mes salades, finalement, ça n’a pas tellement d’importance. Monsieur Rees, Martin Rees, est convaincu que ce sont des robots qui s’intéresseront à ça.
Voilà, une petite réflexion au milieu de l’été. Un été exceptionnellement chaud. Voilà, c’est bien pour les producteurs de sel, j’en connais (il ne faut pas qu’ils arrivent dans de la surproduction, quand même !) Passez une bonne semaine, passez un bon reste d’été, et j’essayerai d’être là pour vous donner des nouvelles du genre de celles que je vous donne aujourd’hui.
Voilà, à bientôt !
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