Billet invité.
« Canestra di frutta (Caravaggio) » par Le Caravage (*)
La confiance est un crédit et certains créanciers de la Grèce ne veulent plus lui en céder.
Dès lors, comment finaliser un accord sans confiance, sans crédit nouveau pour une Grèce qui fait face aujourd’hui au mur des intérêts de la dette ?
Mais cette question de confiance, comme on dit en politique, a-t-elle jamais été posée, en fait ?
Car depuis l’arrivée d’un nouveau gouvernement grec sur la scène européenne, il a surtout été question de soumission, comme un vassal le ferait devant un suzerain, devant l’ordre établi pour la ‘stabilité et la paix’ en Europe, un ordre que fait régner le gouvernement allemand, garant du respect des rapports de forces politiques européens, soutenu par un certain nombre de gouvernements en Europe, ceux-là même parfois qui ont dû s’assujettir à cet ordre ou ceux-là même qui en tirent bénéfice.
Peut-on encore parler de ‘confiance’ dans un tel cadre ou doit-on parler bien plutôt de ‘serment d’allégeance’, comme d’une preuve renouvelée d’un attachement à la foi prononcée ?
Car dans la corbeille européenne, non pas celle que l’on a tressée aux pays européens après guerre mais celle du mariage acté par les marchands dans l’euro, il y a un contrat, un contrat implicite alors mais qui se révèle à tous aujourd’hui : les fruits, tous les fruits, s’engagent à ne pas pourrir, dans l’intérêt de tous, bien évidemment. Mais, grain de raisin ou orange, ce sera chacun pour sa pomme.
La situation d’aujourd’hui se résume ainsi : la Grèce, ce fruit déjà trop blet lorsqu’il intégra la corbeille et que l’on laissa pourrir pendant presque 10 ans, sous le regard de tous, est devenu un fruit encombrant pour la corbeille. On s’y poisse les mains dès qu’on veut le saisir et l’on ne sait plus ou pas qu’elle est la profondeur de sa pourriture : doit-on trancher toujours plus pour conserver un fruit sain, et préserver la corbeille, ou doit-on jeter hors de celle-ci cette insigne preuve de la corruption, par destination presque, cette Grèce, quitte comme on tente de le faire croire à en récupérer les morceaux un fois le fruit pourri tombé et à les réintégrer ensuite dans la corbeille ?
Qui peut croire un seul instant en ce conte pour enfant déjà endormi, quand en réalité il s’agit bien de l’expression la plus nette de la conception protestante du refus de la rédemption, de l’affirmation luthérienne de la prédestination et des signes de celle-ci par la matérialisation de la richesse et de la puissance, ou au contraire de la déchéance de son âme par l’exhibition à tous de sa corruption, de sa pourriture ?
Seule la foi et la Grâce, et non les actes, permettent le salut.
La Grèce, elle, n’a, à l’évidence, ni l’une ni l’autre.
Dès lors, les contorsions métaphysiques de certains gouvernements européens font perdre du temps à tous ceux qui pensent, depuis le début, qu’il est vital d’assainir la corbeille et d’éjecter, proprement ou pas, ce pays de la zone euro. Tout au plus, pourra-t-on accompagner, aussi humainement que possible, ce bannissement, que l’on promet temporaire, et l’on réintégrera ensuite dans la Cité ces lépreux avec des crécelles, pour signifier à tous la contagion possible et la présence du châtiment divin.
Par-delà ces credo qui sont ainsi réaffirmés à la face des croyants, comme pour réaffirmer dans une Cène européenne réitérée à travers ces ‘sommets’ les conditions du salut pour chacun et pour tous, il est pourtant nécessaire de prendre conscience des réalités qui ont conduit à une situation où tout a été fait pour que le pourrissement soit par trop avancé pour que l’on n’ait plus que deux solutions : le risque de l’extension à tous du ‘mal’ ou l’exclusion de la ‘communauté’ de l’individualité défaillante.
En premier lieu, il serait bon de rappeler que la corbeille a été tressée de telle manière à ce qu’elle ne permette pas à tous les fruits de respirer comme ils devraient et que les plus gros fruits écrasent les plus petits, sauf si ceux-ci sont placés par-dessus par leurs efforts propres à suivre l’ordre établi.
Le ré-agencement des uns par rapport aux autres, de manière solidaire, est donc une condition nécessaire pour des fruits de taille et de nature différents. Une corbeille de pomme n’aura certes pas les mêmes problèmes, mais elle n’aura pas forcément la même cohésion, sans oublier la toujours présente question du rapport de force interne entre les gros et les petits.
En second lieu, il est nécessaire de rappeler une évidence : aucun fruit n’est à l’abri ni de la pourriture, ni de la mort. Il n’existe pas de ‘statut’ lié à tel ou tel type de fruit et qu’aucune renaissance ne peut intervenir si l’on écrase, si l’on pressure n’importe quel fruit, à fortiori si celui-ci est atteint de pourriture.
A force de serrer, celle-ci finira par éclabousser tout le panier. Qui, dès lors, comme marqué à son tour, faudra-t-il extraire de la corbeille ?
En dernier lieu, il faudrait rappeler que la pourriture attire tous les insectes et que les insectes apportent eux-mêmes la pourriture aux fruits. La Grèce, pour responsable qu’elle fut, n’a pas été seule dans l’affaire puisqu’elle appartenait à cette même corbeille, où chaque fruit fut indifférent, en connaissance de cause, à sa situation. Pire même, chaque fruit, parmi les plus gros, défendit ses propres colonies d’insectes qui prospéraient sur cette pourriture.
Que la Grèce soit éjectée du panier ou non, il y aura donc des causes identiques qui continueront à produire les mêmes effets. D’autres fruits suivront, jusqu’à ce que la corbeille ne soit plus qu’une corbeille d’oranges, plus ou moins grosses.
Que la Grèce soit éjectée du panier ou non, celle-ci et son peuple savent déjà ce que le futur impliquera, pour avoir déjà eu à vivre des coupes sombres. Mais être exclue, en plus d’être fracassée par sa chute, confirmera son statut d’indignité imposé par les plus forts.
Que la Grèce soit éjectée du panier ou non, une question continuera d’être posée : notre salut européen est-il ou non dépendant de nos actions ?
Si la réponse est affirmative, alors la Grèce peut rester dans la corbeille européenne, parce qu’elle pose comme principe, indépassable, la question de la justice comme condition de ce salut.
Si la réponse est négative, il faudra bien alors poser la seule question qui vaille : si le salut ne dépend pas de nos actions mais bien de la foi à laquelle il s’agit d’adhérer et de la grâce qui nous est accordée, pourquoi dès lors avoir construit, et pourquoi rester, dans une corbeille qui était censée protéger les fruits des insectes et qui par sa diversité assurait une meilleure cohésion à l’ensemble ?
Que ceux qui ont proclamé le mensonge ‘Ils paieront !’, urbi et orbi, est une chose.
Que ceux-ci soient exonérés de leur responsabilité en est une autre.
Ejecter la Grèce pour prétendument sauver la corbeille n’y changera rien.
La véritable pourriture, au fond, est bien celle de la permanence du mensonge.
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(*) – Travail personnel, user:Lafit86. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons
@François M Et à ce niveau de conflit, celui-ci ne deviendra pas nucléaire ?