Billet invité.
L’Europe s’est construite à partir d’une idée et d’une pratique. L’idée, c’était celle de la prospérité et du progrès qui devaient être des facteurs de paix et d’amélioration du niveau de vie moyen pour l’ensemble des peuples. Elle s’est donc initialement construite autour de la coopération économique, ce qui était conforme aux objectifs de départ et au contexte de l’époque.
À cette idée s’est rajoutée à partir des années 80 une pratique. Le cadre légal qui s’est instauré peu à peu est celui du libéralisme. C’est un libéralisme à l’anglo-saxonne, où la concurrence et le marché sont mis au centre, où la protection du consommateur au travers d’un cadre juridique est censée borner le jeu de la concurrence, où les directives qui ouvrent au privé les services publics privent l’État d’une partie de ses moyens d’action. Si l’on ajoute les contraintes budgétaires qui sont introduites dans les différents traités, les marges de manœuvre semblent singulièrement réduites.
En réalité, les États n’ont pas utilisé leurs marges de manœuvre principalement en raison de cette construction fondée sur la concurrence, avant même de considérer les contraintes budgétaires qu’il aurait été facile de lever par des politiques fiscales adaptées. L’Union européenne n’ayant pas instauré en parallèle un cadre d’harmonisation fiscale et sociale, la plupart des États européens se sont lancés dans une surenchère d’avantages offerts aux plus riches et aux entreprises dominantes tout en détricotant le cadre social. Ils n’ont pas construit une politique fiscale plus équitable ou tenté de maintenir ou de renforcer les politiques sociales, ce que les traités permettent en théorie. Ce faisant tous les pays affaiblissent progressivement leur marché intérieur et le principal leitmotiv des discours est celui de l’attractivité du pays pour les investisseurs et de la compétitivité internationale : ce qui ne se trouve plus sur le marché intérieur doit se trouver ailleurs.
Le contexte de départ n’existe plus, mais la pratique demeure. Peu importe au fond qu’elle soit le fait de la puissance des lobbys, de la démission et de l’impréparation des politiques de certains pays vis-à-vis de la construction européenne qui contraste avec l’activisme d’autres pays en ce domaine. Le résultat n’est pas une Europe sans vision politique, bien au contraire. Ce qui se construit à Bruxelles au travers de nos gouvernants élus (le Conseil européen) et non élus (la Commission européenne) est une vision éminemment politique de l’Europe.
En ce sens la crise grecque fait tomber les masques. L’ingérence massive dont a été victime la Grèce (comme les autres pays ayant « bénéficié » d’un plan d’aide), les prises de position qui se succèdent avant et après le référendum, la défense jusqu’au-boutiste d’une politique d’austérité qui n’a pas eu les effets attendus, tout cela met au grand jour une Europe politique prête à tout pour défendre une position darwino-libérale.
Cette vision politique s’est construite dans un cadre indépendant des États et hors de tout contrôle démocratique réel. Les opinions publiques sont manipulées par les grands médias qui relaient le message darwino-libéral ad nauseam, les opinions publiques telles qu’elles se traduisent dans les intentions de vote se construisent pays par pays. D’un côté, le Sud où les tentations de ruptures se multiplient sous des formes diverses, de l’autre la montée des égoïsmes nationaux qui voient le renforcement de l’extrême droite (Danemark, Finlande, Suède, Allemagne, les ex-pays de l’Est). La France occupe un peu une position paradoxale où l’extrême droite incarne dans l’opinion publique une forme de rupture, alors que son programme sur le fond ne reflète rien d’autre que la combinaison d’un programme darwino-libéral sur le plan économique et d’exclusion sur le plan social.
Espérer un sursaut européen dans ces conditions paraît illusoire. Pour autant, n’existe-t-il pas une voie étroite pour construire autre chose ? Les marges de manœuvre qui existent sur le plan fiscal et social peuvent jouer dans les deux sens, encore faut-il avoir la volonté de s’en servir… Les vraies difficultés inhérentes à la construction européenne sont les règles concernant la libre circulation des biens et des personnes et celles concernant la libéralisation des services. Ce sont ces règles qu’il faut contourner d’une manière ou d’une autre, ce sont ces règles qui sont au cœur des rapports de forces instituées par l’Europe et qui sont au cœur de sa politique. D’une manière ou d’une autre, c’est par des batailles nationales que nous devrons reconstruire une nouvelle vision de l’Europe.
@Garorock Ce qui veut dire que la production en série n’est pas commencée (pas encore de livraison) et qu’il n’y…