LE TEMPS QU’IL FAIT LE 3 JUILLET 2015 – (retranscription)

Retranscription de Le temps qu’il fait le 3 juillet 2015. Merci à Olivier Brouwer et Olivier Hofman !

Bonjour, on est le vendredi 3 juillet 2015. Et vous avez peut-être vu, ou vous aurez l’occasion de voir une vidéo, je crois qu’elle a dû être faite hier, où on voit Thomas Piketty s’entretenir avec [Arnaud] Leparmentier, du Monde, et dans cette vidéo, eh bien, il parle de la Grèce et il parle des autorités que nous regroupons sous le nom de « Troïka » – Banque Centrale Européenne, Commission Européenne et Fonds Monétaire International – qui représentent les créanciers publics de la Grèce, il en parle comme d’« apprentis-sorciers ».

Euh, la vidéo est très intéressante, la position de Piketty est quasiment parfaite. Je voudrais simplement commenter un petit peu le terme d’« apprenti-sorcier ». Apprentis-sorciers, oui, sans doute, mais je crois que ce qui caractérise surtout le comportement de nos autorités, c’est son caractère suicidaire : c’est le fait qu’il va conduire à un résultat absolument opposé à ce qui est recherché. C’est un peu le sens du message aussi de Piketty. Mais pourquoi comportement suicidaire ? Eh bien, parce que nous sommes dans une période, il me semble, où seul un comportement neuf peut apporter une réponse. Or, les gens qui nous dirigent, depuis un certain temps, ils nous proposent le choix entre deux choses : continuer comme on fait maintenant, et « c’était mieux à la belle époque, on va refaire comme avant, comme il y a longtemps, comme dans l’ancien temps ». Voilà. Il y a d’autre personnes qui vous disent : « il faut faire comme dans l’ancien temps ». A mon sens, les deux comportements sont suicidaires.

Pourquoi ? Eh bien parce que, vous le savez sans doute, je vous l’ai déjà dit, je suis en train de lire cet ouvrage que je vais vous montrer [P.J. montre l’ouvrage]. Je vais vous lire ce qui est écrit sur la couverture. Il est écrit : « Comment tout peut s’effondrer. » Et il y a un sous-titre qui est : « Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. » De Pablo Servigne et Raphaël Stevens, aux éditions du Seuil. J’en ai déjà parlé, je suis en train de continuer à lire ce livre, et la conclusion que moi je tire de ce livre, c’est que, eh bien c’est qu’il est beaucoup trop tard. Ce n’est peut-être pas ce qu’ils disent explicitement, mais c’est en tout cas ce qu’ils disent implicitement. Le tournant, le mauvais tournant, ce qui nous a envoyés dans une voie absolument irréversible, c’est en fait la révolution industrielle. Ça nous met quelque part, je dirais, entre la moitié du 19ème siècle et la fin du 19ème siècle. C’est à dire que les mauvaises décisions ont été prises au moment où nait mon propre grand-père. Donc, c’est il y a très très longtemps ! Quand on dit que nous passons un monde, je dirais, très très abîmé à nos enfants, eh bien en fait, voilà : mes grands-parents à moi, qui sont probablement la génération des arrière-grands-parents pour la plupart d’entre vous, eh bien nous ont passé un monde qui était condamné. C’est la conclusion que je tire de ce livre. C’est la conclusion que beaucoup de gens, j’en suis sûr, en tireront.

Mais, mais, il y a peut-être encore quelque chose à faire. Bon. Et c’est là-dessus que – parce qu’on ne va pas rester assis sur ses mains comme disent les Britanniques – on va quand même essayer de faire quelque chose. Il y a sans doute une ouverture possible, quand même, pour un retournement.

Mais ce retournement, il n’aura pas lieu, ni à retourner à des comportements plus anciens, ni à continuer à faire comme on fait maintenant. Parce que là, on est vraiment le bolide sur les rails, on va droit vers le mur.

Donc, il n’y a une chance que pour des innovations absolument totales, pour faire tout à fait autrement que ce qu’on a fait aujourd’hui. Je ne sais pas si c’est Piketty ou quelqu’un d’autre que j’ai regardé hier, qui souligne le fait que, eh bien, que les Etats-Unis, en ce moment, s’en tirent quand même mieux que l’Europe, et ça, c’est lié, sans doute, au fait qu’il y a quand même un gouvernement fédéral aux Etats-Unis. On a voulu lancer une Europe fédérale et on s’est arrêtés à mi-chemin ou au tiers, et ça ne marche pas. Alors, pourquoi ? Eh bien parce que nous avons conçu une structure qui est plus ou moins confédérale, qui n’est pas du tout ce qui convient à une zone monétaire unifiée, mais qui inscrit les comportements conservateurs à l’intérieur de la logique. Pourquoi ? Parce qu’il faut, dans la zone Euro, il faut mettre 18 pays ou 19 pays d’accord sur absolument tout. A l’intérieur de l’union européenne, c’est à peu près pareil. C’est à dire que ça ne permet, de fait, la structure a été conçue de telle manière qu’elle ne permet que des variantes entre deux comportements suicidaires : celui où on continue comme on a fait hier et avant-hier, et [celui] qui consiste à dire : « Il faut refaire comme on faisait il y a un siècle ».

Et bien entendu, bon, quand je dis ça, que tous les comportements, revenir à du très ancien, ne marcheront pas non plus, évidemment, je ne dis pas des choses qui seront très sympathiques aux décroissantistes, à une grande partie des Ecolos, etc., qui sont des gens qui, de bonne volonté – et j’en ai fréquentés les deux jours derniers au G21, « Swisstainability » à Lausanne où je me trouve toujours – qui disent : « Eh bien, on va faire [comme avant] ». En fait, ce que ces gens proposent, c’est de refaire ce qu’on a appelé la Révolution Sociale de la première moitié du 19ème siècle, avant que la Révolution Industrielle ne démarre véritablement, et comme vous le savez, qui s’est terminée dans un bain de sang en 1848. C’est une expérience qui s’est terminée à cette époque-là.

Alors, toutes ces expériences qui sont faites, je dirais, de type décroissantiste et autres (j’allais dire des noms, mais enfin je ne vais pas dire de noms), tout ça, c’est très sympathique, c’est mieux que l’attentisme, le conservatisme absolu, mais c’est trop tard ! En tout cas, ça c’est certain, je dirais, [à la lecture] du bouquin de Servigne et Stevens. Ça, ça ne marchera pas. Moi j’aurais applaudi, j’aurais fait partie de tout ça si on était en 1820, en 1830. C’est à ce moment-là qu’il fallait essayer la Révolution Sociale, c’est à ce moment-là qu’elle a capoté. C’est dommage. Le rêve hippie, voilà, c’est ça, c’est cette époque-là, c’est 1820, 1850, et ça n’a pas marché. Proudhon l’a dit, c’est quelque chose qui est mort-né, c’est une révolution en germe mais qui n’a pas su porter ses fruits, et pour cette solution-là, à mon avis, il est trop tard. Alors, il faut faire du neuf, du super-neuf, c’est la seule chance qui nous reste. Et quand je dis : « super-neuf », je ne pense pas aux rêves transhumanistes, à faire des stations spaciales dans lesquelles on va essayer de se mettre tous ensemble ! Non, je veux dire : remettre en état la planète et inverser absolument la vapeur.

Alors, je réfléchis à différents moyens de le faire. Les deux prochains bouquins que je prépare et que j’écris plus ou moins en même temps vont se concentrer là-dessus, c’est à dire à proposer des approches absolument différentes. Ce seront deux bouquins différents, les moyens utilisés, je dirais, pour persuader, seront de nature différente. Quand je dis : « les deux prochains », je ne parle pas de celui qui sort le 2 septembre, celui consacré à Keynes. Là, c’est autre chose, c’est une tentative de reconstruire une science économique, parce qu’on aura toujours besoin d’une science économique, et la manière dont ça a été fait, justement, depuis la révolution industrielle, depuis les années 1870 jusqu’à maintenant, ce n’était pas la bonne méthode. On a produit un savoir qui est en fait pratiquement inutilisable. Non, je parle des deux bouquins que je suis en train d’écrire en ce moment. Voilà.

Je vous en parlerai un petit peu, mais il faut aussi que ce soit très clair dans ma tête, comment le faire exactement, donc je ne vais pas en parler trop. Je travaille là-dessus. Je travaille là-dessus et ce sont deux approches, mais c’est aussi proposer de l’entièrement neuf.

Voilà, à la semaine prochaine !

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