Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Graphiste freelance de la gomme et du crayon et autres pinceaux depuis 1973, j’avais sauté en 1985 sur la Pomme de Cupertino en me saignant pour ma première bête de course : un Mac SE.
Une drôle de boîte à chaussure munie d’une poignée, dépourvue de disque dur dont le Système d’exploitation était tout entier contenu dans une disquette de 650 Ko…
Cet avantage technologique concurrentiel (à renouveler cependant à prix d’or tous les 6 mois – loi de Moore oblige) s’ajoutant à un zest de talent se concrétisait dans un chiffre d’affaires sympa qui me permettait de faire vivre ma famille et financer les études hors de prix de mes gosses dans une prestigieuse école d’art US.
Bon, OK, je bossais 12 heures par jour et le produit de la moitié de ce labeur technico-créatif était reversé cycliquement dans les caisses de l’État dans la joie et la bonne humeur (humour !).
Le job me plaisait, c’était avant le marketing, il y avait quelques clients fidèles, voire talentueux, et même sans rire : du respect mutuel dans ces échanges gagnant/gagnant… si, si !
Et roule comme ça ma poule pour une quinzaine d’années…
La première année de ce millénaire, j’avais 50 ans, Arthur C. Clarke et Kubrick s’étaient plantés : en 2001 l’homme ne tutoyait toujours pas les Grands Architectes de l’univers dans la banlieue de Jupiter à l’occasion d’une conjonction de planètes.
Un peu déçu, mais pas surpris, j’étais prévenu : depuis ma passion pour Robida dont je collectionnais les images dans un cahier d’écolier quand j’avais 10 ans, je savais que le futur est difficile à appréhender.
La bulle Internet faisait pschitt.
La démolition express de deux tours nous faisait entrer tous feux éteints pour un temps soigneusement indéterminé dans le Nouvel Ordre Mondial plutôt flippant.
À mon tour je fis pschitt quelques années plus tard.
Au Graphiste par vocation avait succédé l’infographiste de hasard, lui-même se réduisant ensuite en opérateur PAO.
D’anciens mécanos ou magasiniers au chômage recyclés en 3 semaines de stage devenant les O.S. interchangeables de la chaîne graphique.
L’estocade finale devait être portée pourtant par les chacals des agences d’interim et les sites internet proposant des « Missions » mises aux enchères à l’envers sur l’internet (du genre : La Sté Rapetou veut remodeler son image d’entreprise, sa charte graphique et son logo : mise à prix 100 euros… qui dit moins d’Islamabad à Roubaix en passant par Vladivostok ?).
En conséquence, la paupérisation des jeunes assez flexibles qui « s’adaptaient » les contraignait alors de vivre chez leurs parents jusqu’à fort tardivement.
Le travail spéculatif passe dans les mœurs comme une lettre à la poste (le travail spéculatif est le fait d’espérer gagner un contrat en produisant ses idées gratuitement pour un prospect ou un client), et l’exemple est donné maintenant au plus haut niveau, comme ici tout récemment.
Une conscience tranquille relayée même par le Ministère de la Culture, c’est dire la banalité du mal !
Oui, je sais, ça renvoie une Erreur 404. C’est que, devant la levée de boucliers le Ministère a supprimé la page au bout de quelques jours mais la page en cache est bien là. Peu informés probablement, ces gens-là ne savaient pas… sans doute.
Mais la pente est bien savonnée et la partie seulement remise.
J’ai jeté l’éponge bien avant cette dégringolade tout en étant encore trop jeune pour avoir le compte requis de Points de Retraite… conscient de tester à nouveau les avant-postes – peu enviables cette fois – de ce qui attend les multitudes à venir.
Me voici donc gratifié d’une aumône mensuelle à perpet très inférieure au seuil de pauvreté défini par l’INSEE.
Le Turc mécanique.
Aujourd’hui, j’ai toujours un ordi, et scrutant autour de moi les possibles de mon futur de vieux, je découvre éberlué le Turc mécanique…
Un produit sidérant de notre époque, au développement déjà fulgurant que ni Arthur C. Clarke ni Robida n’auraient eu la perversité d’entrevoir.
Pour bien voir la cynique abjection du concept, d’abord un peu d’histoire :
Le Turc mécanique fait référence à CECI.
La Socété Amazon l’a réinventé en s’emparant du nom et de ce qu’il recouvre, c’est-à-dire une arnaque saupoudrée d’un foutage de gueule à peine dissimulé : Le Turc Mécanique est un marché du travail.
Un phénomène de nouveau marché aux esclaves d’ailleurs largement documenté, mais qui m’avait échappé jusqu’ici. La preuve ! Et dans la presse française.
Sentant le bon business-modèle à suivre, une boîte française a d’ailleurs sauté dans ce train avec enthousiasme en en créant une version bien de chez nous (le français, c’est bien connu n’étant pas doué pour les langues étrangères) : foulefactory.
Cauchemar certes, mais dans deux ou trois ans, quand j’aurai brûlé mes dernières cartouches… qui sait ?
Laisser un commentaire