Trends – Tendances, « … Chez ces gens-là, Monsieur, on ne cause pas : on compte », jeudi 4 juin 2015

Nous devons à Ronald Harry Coase (1910–2013), Prix Nobel d’économie en 1991, l’idée que si nous voulons résoudre les problèmes écologiques causés par le sans-gêne de notre espèce à la surface du globe, il faut privatiser le peu de biens communs qu’il nous reste encore : en poursuivant leur intérêt, les entreprises se chargeront de remettre les choses en ordre, bien mieux que la bonne volonté brouillonne des États cherchant à résoudre les problèmes qui se posent à coups d’interdictions, lesquelles finissent par faire plus de tort que de bien, les conséquences non-maîtrisées des meilleures intentions du monde étant en nombre potentiellement infini.

C’est à Coase que nous devons le concept des « droits d’émission » : au lieu d’interdire aux entreprises de polluer, organisons un commerce du droit de polluer, et l’intérêt bien compris des pollueurs fera baisser d’un point de vue global les émissions. Et ceci, sans avoir dû prohiber aucun comportement.

La réflexion de Coase est à la base de la « bourse du carbone » visant à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Le bilan du système, qui a débuté en 2005, dans le sillage du protocole de Kyoto de 1997, est jusqu’ici mitigé. La raison ? Le fait que les économistes souscrivant à la théorie standard imaginent à tort qu’il existe une main invisible guidant immanquablement les prix vers leur niveau optimal pour l’économie dans sa globalité.

Les partisans de l’autorégulation aiment se moquer de la naïveté des ennemis du « laisser-faire », lesquels imaginent que la réglementation constitue la panacée à tous les problèmes financiers et économiques, mais les partisans du « laisser-faire » ne sont pas en reste en matière de naïveté car ils supposent eux candidement que les prix vont d’eux-mêmes se fixer à leur niveau « objectif ». Comme s’il n’existait pas de rapports de force entre acheteurs et vendeurs, ou entre prêteurs et emprunteurs… Comme si les agents économiques présents sur les marchés avaient pour unique but de se mettre au service du « price discovery process », la découverte du prix « objectif »… Comme s’ils n’intervenaient pas sur les marchés à la recherche d’un profit et en mettant en œuvre des stratégies pour parvenir à leur fin… Autrement dit, et pour appeler un chat, un chat : la théorie économique standard fait comme si les financiers étaient des philanthropes plutôt que des marchands

Car il faut bien le dire, dans leur souci de donner à la « science » économique l’apparence et le prestige d’une science dure comme les autres, les économistes l’aseptisent en gommant délibérément la dimension « recherche du profit » qui sous-tend, comme personne ne l’ignore pourtant, toute transaction financière.

Un excellent exemple en est fourni par les péripéties du modèle de valorisation des options proposé en 1972 et 1973 par Fischer Black et Myron Scholes. Ce modèle était faux dès sa conception, comme le savent tous les opérateurs de marché, qui ne l’utilisent pas moins, mais en recourant à diverses astuces pour contourner sa fausseté. Personnellement, au début des années 1990, je modifiais la formule du montant de la prime pour en éliminer l’erreur : j’y introduisais comme variable supplémentaire, le profit du vendeur, de valeur constante quel que soit le cas de figure.

Quoi de plus logique après tout que le souci d’un vendeur de dégager un profit d’une opération ? Mais quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir dans un entretien entre Myron Scholes (Fischer Black est mort prématurément en 1995) et Donald MacKenzie (auteur de An Engine, Not a Camera, MIT Press 2006), que les auteurs du modèle savaient qu’une variable profit était indispensable au bon calcul mais ne l’avaient pas introduite pour préserver la pureté du modèle, le prétexte en étant « l’efficacité du marché », censée éliminer tout élément de profit par un effet d’arbitrage, à savoir du fait que la concurrence entre vendeurs fait tendre le profit vers zéro ! Or le profit du vendeur était bien là et le déni de sa présence – par souci de respectabilité sans aucun doute causait l’erreur que tout un chacun pouvait constater.

 

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