Devenir des robots pour ne plus souffrir de la condition humaine, par Pascal

Billet invité

Tiré du documentaire d’Arte de 2012.

Pierre Dardot, professeur de philosophie (retranscription en italique)

« On construit la fiction d’un individu-cerveau, c’est-à-dire d’un individu qui est son cerveau et qui dans la mesure où il est son cerveau, doit faire attention au fonctionnement de ce cerveau. Donc, il doit faire attention pour éviter tout dérèglement de ce fonctionnement, et ne doit pas hésiter à recourir à des artifices pour améliorer le fonctionnement du cerveau. Parce que, bien évidemment, ce qui est en jeu ce sont les avantages compétitifs. Ce qui veut dire que les rapports entre les individus sont remodelés de manière à faire prévaloir la norme de la concurrence entre les individus conçus chacun comme étant une entreprise de soi ».

« Il y a une pensée classique qui est de la perfectibilité qui date du 18ème, qui est l’idée selon laquelle l’homme peut s’améliorer ou se perfectionner notamment par l’éducation, et cette idée là aujourd’hui, se trouve reléguée au second plan, elle est même parfois purement et simplement abandonnée et critiquée explicitement. Et ce qui tend à l’emporter, c’est une autre idée, c’est la perspective d’une amélioration indéfinie qui permettrait, par des techniques, de changer y compris l’humaine condition ou la nature humaine. »

« On peut considérer que l’objectif c’est d’améliorer la compétitivité des économies et de l’économie mondiale en améliorant la performance des individus. Augmentation et performance sont peut-être à cet égard, les deux termes clés qui permettent de comprendre comment le lien s’établit directement entre cette idéologie du mouvement transhumaniste et d’autre part la logique néolibérale. Finalement, ce qui est en jeu, c’est l’adaptabilité des individus à toutes les circonstances. Donc, s’il faut s’améliorer indéfiniment, c’est précisément pour s’adapter toujours plus. Ceux qui le feront auront bien évidemment un avantage concurrentiel et compétitif par rapport à ceux qui ne le font pas, et par conséquent, ils seront favorisés et ce sont eux qui seront finalement les gagnants.

Alors le problème, c’est que c’est un mouvement en effet qui est à la jonction de la politique, de la science et de la philosophie, et qui en plus prétend agir comme un lobby. Donc, je crois qu’il ne faut pas se tromper, la pire des choses ce serait de considérer que ce sont quelques savants un peu illuminés, ou quelques philosophes qui prennent leurs désirs pour des réalités. C’est beaucoup plus que cela, et je crois qu’ils se donnent en plus les moyens réellement d’agir sur les politiques, sur le fonctionnement de certaines institutions, sur l’orientation de la recherche par ce que c’est une question qui est très importante et par conséquent, je crois que ce n’est absolument pas à sous estimer, tout au contraire. »

Jean-Claude Guillebaud, journaliste

« Le corps, qu’est-ce que c’est que ce truc là quand on est sur Internet ? Le corps, c’est encombrant. Le corps ça vieillit, ça prend des rides et cetera, donc il y a ce rêve de l’immatériel de, au fond, nous débarrasser du corps. De même que les économistes des marchés financiers se débarrassent de l’économie réelle, au profit de la spéculation irréelle, virtuelle des marchés financiers, de même les technoprophètes nous conseillent de nous débarrasser du corps, d’oublier le corps ».

« Se débrancher ne se fera qu’au prix d’une grande solitude » dit un intervenant transhumanisant.

La peur de mourir, la peur d’être seul, c’est la peur de la condition humaine. Devenir des robots pour ne plus souffrir de la condition humaine.

Ces gens-là ne voient donc dans la condition humaine que souffrances comme Siddhartha Gautama en découvrant le monde réel de l’autre côté du mur de son palais.

Il nous reste donc le choix de confier notre être et notre nature (corps et âme) à des « technoprophètes », des « tranhumanistes », des algorithmes, des « humains augmentés », ou bien de chercher en nous « la nature de Bouddha » ou encore notre espérance sociale.

Il est loin le temps du libéralisme qui prônait la responsabilisation des individus au nom de la liberté. Aujourd’hui, il prône l’abandon de notre humanité au numérique pour raisons économiques ! De l’impensable égalité des hommes devant le pouvoir et le profit dans une société libre, il nous faudrait donc accepter la soumission à l’égalité standardisée d’humains robotisés.

Personnelement, j’accepte la solitude et la mort comme conditions de mon humanité. Je n’aurai donc pas à me débrancher !

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