LE TEMPS QU’IL FAIT LE 29 MAI 2015 – (retranscription)

Retranscription de Le temps qu’il fait le 29 mai. Merci à Olivier Brouwer !

Bonjour, on est le vendredi 29 mai 2015. Et je vais essayer de ne pas trop bredouiller, parce que vous avez vu : dans mes vidéos récentes, j’ai bredouillé pas mal ! Beaucoup de lapsus, des phrases qui disent le contraire de ce que j’essaye de dire… Et quand est-ce que ça se passe ? Eh bien, ça se passe quand je suis trop fatigué. Voilà. Il n’y a pas de mystère, il n’y a pas de miracle. Il y a un an ou deux, je m’étais dit : « Il faut ralentir le rythme, je ne peux pas passer tout mon temps comme ça dans des trains, à attendre dans des aérogares, à dormir une nuit sur deux dans des hôtels », et le résultat, le résultat, eh bien, vous le connaissez, chers amis, c’est que deux ans plus tard, c’est le double ! Voilà. Je suis deux fois plus dans des trains, deux fois plus dans des aérogares, deux fois plus dans des hôtels !

Alors, je ne vais pas me plaindre, parce que c’est lié à une influence peut-être grandissante. C’est lié au fait qu’on m’écoute, qu’on me fait venir à des endroits, et ce sont des endroits où on n’est peut-être pas au niveau entièrement décisionnel, mais enfin, on n’en est pas très très loin, et ce sont des endroits où on échange des informations qui comptent, parce qu’on les connaît.

Ce sont des problèmes complexes, j’ai en face de moi des gens qui considèrent a priori que tous ces problèmes ont des solutions purement techniques, et les solutions purement techniques qu’ils proposent, eh bien, ce sont des choses qui se coulent en fait dans le moule d’une religion féroce, et qui est en fait une théologie d’extrême-droite qui est celle défendue par les milieux d’affaires, dans nos pays, et en particulier par les milieux financiers. Alors, ce n’est pas mal que ces gens m’écoutent avec attention, que mon avis compte dans les décisions qui sont prises, même si, je le répète, ce qu’on est en train de faire, c’est au niveau consultatif, mais enfin, ce niveau consultatif n’est pas tout à fait impuissant non plus. Voilà, je ne peux pas en dire plus.

 

L’actualité générale, vous le savez, eh bien, c’est toujours la Grèce. Vous ne me voyez pas m’exciter de manière, je dirais, particulièrement marquée sur ce plan de la Grèce, parce que, eh bien, parce que depuis l’élection, le 25 janvier, d’un gouvernement avec une majorité [de gauche radicale], d’un parti, Syriza, à la tête [duquel] se trouve Monsieur Tsipras, qui n’a pas fait d’erreurs jusqu’ici, à mon sens, il défend le point de vue des peuples contre cette religion féroce d’extrême-droite qui nous est imposée d’en haut, par le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, et puis le reste de la Troïka en ce qui nous concerne : Commission Européenne et Banque Centrale Européenne.

Alors, il défend le point de vue des peuples. C’est très très bien, c’est que l’être humain compte, qu’il n’y a pas que des rouages, qu’il n’y a pas que l’argent dans la vie, etc. Qu’il faut protéger ceux qui n’ont pas de chance dans ce système qui est un système extrêmement dur aux perdants, même quand les perdants ont joué le jeu, c’est-à-dire qu’ils ont essayé de créer leur propre entreprise avec beaucoup d’allant, etc., eh bien, quand ils sont perdants là-dedans, on ne leur tend pas beaucoup de perches pour essayer de s’en sortir.

La position, depuis le départ – il y a un mot, malheureusement, le mot n’existe pas en Français. Ça s’appelle brinkmanship, la situation dans laquelle on se trouve, c’est-à-dire un exercice – j’ai regardé, je viens de regarder, par curiosité, comment on traduit brinkmanship quand les gens sont forcés de le traduire en français. En général, les gens tournent autour, c’est-à-dire qu’ils ne le traduisent pas du tout, ce mot. Ils emploient l’expression « poker politique », et j’ai vu « corde raide », aussi, sur une vingtaine de cas. Dans les dix-huit autres, eh bien, il n’y a même pas de tentative de traduire ça. C’est dommage qu’il n’y ait pas de mot pour ça. Il y a une expression un peu plus populaire, en anglais, qui est a game of chicken : un jeu de poulets. Un jeu de poulets, si vous ne savez pas ce que c’est – et l’image a été utilisée un million de fois dans la presse anglo-saxonne depuis le début de la crise, pour la situation entre la Grèce et les instances de la Troïka – c’est la fameuse scène dans le film « La fureur de vivre » (Rebel Without a Cause) : c’est la course de voitures vers la falaise. Et, bon, soit on se jette par la portière et on survit, soit on tombe avec la voiture et on disparaît de la surface du globe, et voilà ! Bon, évidemment, si on saute le premier, eh bien, on est le lâche, et si on reste dans la bagnole, on est le crétin.

Voilà. Mais ce jeu est en train de suivre son cours, et depuis le départ – c’est pour ça qu’il ne faut pas trop s’exciter – ni l’un ni l’autre ne peuvent perdre. C’est-à-dire qu’on va trouver, on va trouver un compromis. Je dirais, c’est écrit dès le départ. Sauf, sauf – et là, tous les commentateurs le soulignent depuis le départ – sauf accident. Voilà, si, tout à coup, la situation dérape, si on sort du cadre, je dirais, de la confrontation de deux points de vue inconciliables, ça peut déraper, on peut avoir un accident. Et dans le cadre du système financier tel qu’il est, qui est toujours aussi fragile – en fait, il s’est fragilisé encore davantage, puisque le monde financier a refusé les solutions, les rustines qu’on lui proposait – les choses peuvent être encore pires, encore pires que la fois précédente.

 

Conclusion de ces deux réflexions – la première, c’est le rôle que je joue dans ce Haut-Comité d’experts sur l’avenir de la situation financière en Belgique, et [la deuxième], la réflexion sur la Grèce – c’est que finalement, eh bien, imaginons même que j’aie un rôle absolument déterminant sur l’avenir financier de la Belgique, ce n’est encore qu’un tout petit bout du problème, ça ne nous mènera même pas encore très très loin. Parce que, eh bien, parce que le problème général, c’est celui que j’appelle celui du soliton – crise environnementale, crise de nos systèmes économiques et financiers qui sont à bout de souffle, et crise de la complexité : nous avons inventé le robot et le robot est en train de nous remplacer partout, y compris dans les décisions importantes qu’il faut prendre.

Alors, sur ce plan-là, eh bien, sur ce plan-là, qu’est-ce qu’on peut faire ? J’ai essayé un certain nombre de choses, vous m’avez vu faire, ici, dans des billets, dans des vidéos, et je passe un petit peu à autre chose. J’ai un accord avec les éditions Fayard, un accord enthousiaste, je dois bien le dire ! J’ai eu la réunion la plus récente, c’était avant-hier, à ce sujet, et c’est un livre qui s’appellera, le titre est déposé… Oh, mais je ne vais pas le dire tout de suite ! Mais c’est un constat, ce sera un constat d’une espèce qui est au bord de l’extinction, qui le sait, et qui ne bouge pas. Non pas qu’elle soit elle-même paralysée, mais elle s’occupe d’autre chose : elle s’occupe d’amasser de l’argent, parce que, voilà, on n’a pas encore compris qu’il y avait autre chose à faire si on voulait qu’il y ait encore des générations futures. C’était la question qui avait été posée lorsque j’avais été invité (je ne sais plus comment s’appelait le théâtre) à Paris, où je devais être le procureur contre le capitalisme, et j’avais dit : « Que pouvons-nous faire pour les générations futures ? Faire en sorte qu’elles soient là ! » Et le problème, le problème est là.

Alors, j’écris un livre, comme je viens de le dire, avec le soutien enthousiaste des éditions Fayard à différents niveaux, qui sera un constat, et qui dira : « Voilà, ou bien on réagit, ou bien on met la clef sous la porte », mais sans hystérie, sans s’exciter particulièrement, parce que ça a l’air plié, je dirais, sur ce plan-là, le plan général, ça a l’air plié. Alors voilà, on espère que… C’est une tentative, je dirais, un peu latérale, de prendre le problème, de mettre le nez du chien dans son caca. Je ne sais pas si ça marchera mieux que le reste, mais enfin, voilà, c’est ce que je fais en ce moment, et je m’y consacre, en fait, avec enthousiasme.

 

Voilà, à bientôt, à la semaine prochaine, j’espère.

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