Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Après une longue diaspora de plus de 80.000 ans et plusieurs vagues de migrations, nous, hommes modernes, sommes en passe, au-delà de nos langues, de nos cultures et de la variété de nos morphotypes, de retrouver l’unité qui était celle de nos ancêtres dans leur berceau africain.
Mais si cet objectif est majoritairement partagé, force est de constater que les modalités d’accès à cette nouvelle unité, sont par contre radicalement différentes. Toute simplification est par nature réductrice, mais nous pouvons néanmoins distinguer deux grands courants :
– un courant humaniste plaçant le bien-être de tous les humains, sans exception, ni distinction, au centre de ses préoccupations. S’appuyant largement sur la méthode scientifique en tant que voie privilégiée mais non exclusive, à la connaissance du monde.
– un courant totalitaire, définissant ex-nihilo La réalité, et désireux de l’imposer à tous (tes) par la violence physique et/ou psychologique.
Dans mes échanges avec Pierre Sarton du Jonchay, à propos de son article sur le démantèlement de l’état de droit et sur l’urgence absolue qu’il y a à sauver l’euro par la démocratie, je me suis demandé quelle était la nature des mécanismes pouvant expliquer la persistance de l’aberration d’une voie totalitaire dans nos sociétés (et peu importe que ses variations soient laïques ou religieuses).
Ce que nous appelons ‘realpolitik’, qui n’est en fait qu’une forme de darwinisme social, pourrait être vu comme l’exemple même de l’emballement de certaines de nos fonctions cognitives. Plus précisément de celles chargées d’assurer une perception cohérente de ce que nous appelons Réalité. Je redécouvre sans doute l’eau tiède (pardon aux neurologues, psychiatres, psychologues et psychanalystes qui liraient ces lignes), mais je me représente notre esprit comme une machine à produire de la cohérence et de l’intelligibilité, à partir de l’information collectée par nos cinq sens. Le cerveau (et le corps qui va avec), comme moyen d’accès à l’infinie subtilité du monde, serait alors soumis à la tentation de ‘geler’ une fois pour toute ce processus, dès lors qu’il aurait trouvé une explication satisfaisante – et surtout rassurante – au Pourquoi des choses.
Un processus de rationalisation, qui soumis au bug de la peur, produirait alors de l’irrationalité. Somme toute, la possibilité d’appuyer sur le bouton d’arrêt de son évolution personnelle, pour échapper au vertige de la complexité et des différents infinis. Une séquence qui rappellerait alors la défense de l’enfant remontant le drap sur sa tête, afin d’échapper à ses terreurs nocturnes…
Et inutile d’espérer pouvoir échapper à cette tentation mortifère en se concentrant uniquement sur le Comment des choses. Nos ancêtres nous ont déjà prévenu : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». La solution raisonnable, au premier sens du terme, serait alors de reconnaitre nos peurs pour pouvoir y faire face. C’est sous cet angle que je perçois l’interrogation que je partage avec Pierre, de la pertinence qu’il y aurait à comparer UE et 3ème Reich.
La peur dans ce cas ne venant pas tant de la comparaison en elle-même, mais du fait que nous sommes si peu à la percevoir.
Ce qui débouche à son tour sur d’autres interrogations. Notamment concernant les notions de diversité dans l’humanité : comment à partir de processus cognitifs communs à toute l’espèce, est-il possible d’arriver à des individus ayant des perceptions si radicalement différentes de la Réalité ? (je mets à ce mot une majuscule pour en signifier l’importance, alors que je ne suis même pas certain de l’existence de ce qu’il décrit…).
Pour mettre en pratique l’injonction à combattre nos peurs, je brave donc celle du ridicule et propose l’additif suivant à la théorie de l’Évolution : « plus les individus d’une espèce sont simples, plus ils relèvent d’une même réalité. Plus ils sont complexes, plus ils accèdent à différents niveaux de réalités, sans forcément partager entre eux l’accès à tous ces niveaux. »
La théorie ne valant rien sans la prédiction, il devrait en ressortir qu’une humanité dispersée dans la galaxie donnerait rapidement naissance à des humanités radicalement différentes (la vie et surtout la conscience, explorant tous les possibles).
Idem pour des humanités hybridées avec l’IA.
Pour prendre un exemple sans doute plus rapidement à notre portée que les voyages interstellaires, parlons de Watson, un programme d’intelligence analytique qui rapproche à chaque seconde, des milliers de données issues de domaines de savoirs différents. Son but est d’y trouver des liens et de faire ainsi des rapprochements qui échappent à un esprit humain, désormais incapable de traiter l’ensemble des connaissances acquises. Ce programme d’IA peut être vu comme un bâtisseur de ponts entre les continents scientifiques, comme un analyste expert en tout. Un tel système informatique, capable d’adapter son analyse en temps réel pour en tirer et transmettre de nouvelles connaissances et prédictions, repose sur les mêmes principes que ceux utilisés pour l’acquisition des savoirs dans notre espèce. Sans mauvais jeu de mots, ses algorithmes singent le fonctionnement de notre esprit. Une voie évidente pour une future hybridation. Mais quel en serait le résultat ? L’accumulation des connaissances tout au long d’une vie humaine, fait que bien qu’appartenant à la même espèce, il existe un gouffre cognitif entre, disons un enfant de quatre ans et un homme de soixante ans. Qu’en sera-t-il lorsque l’hybridation nous permettra de multiplier cet écart par plusieurs ordres de grandeur ? Nous aurons alors de fait, plusieurs humanités.
L’échéance temporelle se comptant probablement en dizaines d’années et non en siècles, il devient impératif, vital même, que nous développions notre bienveillance. Afin qu’elle puisse s’appliquer entre la ‘nouvelle’ et la ‘vieille’ humanité, tout comme elle s’applique déjà naturellement entre un vieil homme et un enfant. Afin d’échapper à la dystopie d’un monde de maitres et d’esclaves.
Sauf que dans ce scénario, possible, probable si ce n’est certain, la temporalité sera inversée : c’est l’enfant qui veillera sur le vieil homme.
* Littéralement « De plusieurs, un ». Une phrase tirée d’un poème gastronomique, le Moretum, attribué selon les historiens, soit à Virgile, soit à Aulus Septimius Serenus
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