Décadence et illustration du syndicalisme français, par Michel Leis

Billet invité.

Comment recevoir un bon accueil de la part des syndicats qui entendent défendre les conditions de travail des salariés quand on prophétise soi-même la fin du travail ? Ils peuvent à juste titre se poser la question : quelles propositions pour combattre cette disparition ? Le point de vue donné par un syndicaliste est tout à fait représentatif de la position centrale du travail dans la vision syndicale (après tout, c’est leur raison d’être) : « c’est par son travail qu’un humain accède à la dignité sociale ». Le rôle social du travail reste l’une des dimensions essentielles de notre mode d’organisation, et le changement de paradigme souhaité par certains nécessite de prendre en compte cette dimension.

Dans le même temps, les propos du syndicaliste trahissent une incompréhension de la situation actuelle. La dégradation des conditions de travail n’est plus contrebalancée par l’existence de syndicats puissants et représentatifs, à même d’apporter une dignité par la solidarité de fait qui se créait entre les travailleurs pendant les luttes collectives. En d’autres termes, cette dignité sociale s’est effacée derrière des relations de dépendance. Pour beaucoup, le travail n’est plus qu’un moyen d’accéder à la consommation. L’entreprise en tant qu’organisation ressemble à une meute où chacun se bat pour sa survie individuelle, sous la pression croissante des individus dominants. Or ce qui caractérise la meute, c’est une hiérarchie et des rapports entre les individus qui reposent sur le combat individuel. Il n’y a pas de remise en cause collective des rapports de forces. On peut s’interroger sur les raisons de cette mutation, recherche du profit, changement dans la norme de production qui a entraîné la disparition des grandes unités de production, monté en puissance des dominants, propagande intensive sur la responsabilité individuelle, individualisme croissant, toujours est-il que les syndicats perdent régulièrement du terrain depuis des décennies en France, alors que les conditions de travail se rapprochent dangereusement du servage. 

Le problème syndical majeur est celui de cette mutation. Dans les entreprises où le sentiment collectif l’emporte encore sur le repli sur soi, les syndicats se battent sur deux fronts : celui de la défense catégorielle de quelques groupes qui ont encore les moyens d’établir des rapports de forces favorables et celui de la défense individuelle ou collective des travailleurs dans un contexte régressif. Le premier cas de figure est souvent perçu comme corporatiste par des Français qui n’ont plus accès à de tels moyens d’action. Pourtant, chacun à sa manière défend ses droits dans un contexte de régression généralisé, l’employé de la SNCF comme le pilote d’Air-France. Quant aux luttes pour sauver une entreprise de la fermeture, elles ont acquis la dimension du drame de répétition. Cette récurrence d’images de salariés en pleurs devant les grilles de leur entreprise crée l’habitude, le sentiment de solidarité s’émousse, remplacé par la compassion qui contient déjà une grande part d’acceptation.

Il existait par le passé un troisième front sur lequel opéraient les organisations syndicales, celui de la défense de l’ensemble des travailleurs dans des luttes collectives où ils étaient partie prenante au même titre que les organisations politiques, voire, en étaient les fers de lance. On peut citer la lutte contre les lois Juppé, mais aussi dans un passé beaucoup plus lointain la journée de 8 heures, la semaine de 40 heures. Mais la dernière grande victoire collective a été le retrait des lois Juppé, encore celui-ci concernait pour l’essentiel les salariés du Public. Il y a aujourd’hui une incapacité chronique à se battre sur ce troisième front, les mouvements sociaux ne s’opèrent que dans la fonction publique et quelques grandes entreprises. On assiste à ces « proxy » grèves qui créent un sentiment ambigu de la part des citoyens, entre soutien et rejet, les perturbations causées ne sont pas sans risque pour l’individu au sein de la meute, la direction des entreprises ne se prive pas de rappeler que la présence est obligatoire, même lors des jours de grève.

Je ne sais pas quelle est la meilleure stratégie pour les syndicats, mais une chose me semble acquise, au niveau global, seule l’action politique est en mesure de faire bouger les lignes. Les rapports de forces tels qu’ils se sont établis ne se jouent plus au niveau des entreprises, ils sont le fait d’un pouvoir politique au service d’une idéologie.  Il sera difficile pour les syndicats de retrouver ce rôle de moteur social qu’ils ont eu pendant les ¾ du 20e Siècle. Malheureusement cette situation ne fait qu’illustrer le vide politique dans lequel nous nous trouvons.

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