Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Il y a un peu plus de 5 mois, on pouvait déceler, bien que de manière hypothétique, qu’une dynamique européenne pouvait se faire jour au travers d’un certain nombre de points d’accroches, de conflits potentiels ou de processus possibles.
5 mois plus tard, et sans que cela ne réduise non plus l’avenir en sens inverse, force est de constater que la dite dynamique européenne est rangée sur l’étagère des potentialités, celle déjà surchargée de toutes celles qui « auraient pu mais n’ont pas pu » depuis l’instauration d’un véritable régime de crise, laquelle suit désormais un régime de croisière : stable.
Stabilité est en effet le maître mot.
L’élection du Land de Hambourg à la mi-février 2015 ? Elle n’a pas permis à l’AfD de percer comme le parti le souhaitait et comme les observateurs le décrivaient alors, laissant la victoire au SPD comme attendu mais sans remettre en cause sur sa droite le pouvoir de Mme Merkel ni sur sa gauche l’alliance de la CSU/CDU avec le SPD au niveau national. Stable, donc.
La loi Macron ? Certes, le gouvernement Valls a bien utilisé le 49-3, in extremis, face à la fronde d’une partie des députés socialistes symbolisée par un Benoît Hamon refusant de voter la loi. Mais le seul débouché naturel politique pour ces frondeurs était évidemment hors de l’Assemblée nationale, au Parti Socialiste. Et de fait, dès le mois de mars 2015 et de manière aboutie après les élections départementales, un accord avait été scellé entre l’exécutif et Martine Aubry, laquelle aurait pu par son poids politique remettre en cause les équilibres internes et mettre en porte-à-faux la politique gouvernementale.
Mais pour quelques centaines de millions promis pour l’investissement des entreprises et de vagues promesses d’inflexion à venir, celle-ci intégra sans mot dire la motion Cambadélis, celle de l’exécutif, la faisant ainsi devenir majoritaire. Sans oublier le fait que Karine Berger, poisson pilote de l’Elysée, avait déjà créé sa mouvance et sa motion et que Benoît Hamon ne fut finalement pas retenu comme premier signataire de la motion des frondeurs (Christian Paul, un proche de Martine Aubry ayant été finalement désigné), le vote des militants devait donc finir, comme il le fit hier, par conforter la stabilité, maître-mot au PS, dans des proportions confortables (60 %).
Dès lors, le congrès de Poitiers entérinera probablement dans les jours qui viendront la politique en cours et l’exécutif avec, laissant les frondeurs à leur guérilla interne sans véritable objet, si ce n’est que de négocier d’éventuelles positions ici ou là.
L’élection départementale en France elle-même fut finalement aussi stable à ce compte là : on s’attendait à une poussée de l’abstention et du FN, et ni l’une ni l’autre ne développèrent leurs dynamiques jusque là engagées, sauf sans doute pour le FN qui réussit pour une fois à une élection territoriale à s’implanter durablement. M. Valls en fut tout à son soulagement qu’il s’oublia et se permit de fumer un bon cigare en regardant un match de foot, preuve ô combien le second tour était pour lui dans les rails et les bons. Des pertes massives de départements et surtout de postes ne produisirent pas plus d’effets au sein du PS que les vaines tentatives des frondeurs : les cadres locaux se sacrifièrent en masse, comme des lemmings dans leur course folle.
Le FN, lui, ratait l’occasion historique de conquérir des départements, notamment dans le Vaucluse ou dans l’Aisne, qui aurait immédiatement menacé les élections suivantes, à savoir les régionales. En l’absence d’un tel risque et d’un remaniement ministériel qui finalement devrait se produire après le congrès du PS en juin, si toutefois il était nécessaire (on ne sait jamais, autant le préserver pour les régionales), on revint au rythme habituel : normal.
L’élection d’un gouvernement Syriza en Grèce ? Il donna certes lieu à un affrontement politique immédiat entre celui-ci et le gouvernement allemand notamment, dans une tentative de guerre de mouvements menée par le gouvernement grec et son flamboyant ministre des Finances M. Varoufakis, mais une offensive qui finit par se transformer dans la guerre de tranchées financières et budgétaires que l’on connaît actuellement et dont on ne sait pas même si ils en sortiront au mois de juin, à la fin de l’année 2015 ou même jamais. L’épuisement, voilà l’ennemi et l’allié ! De fait donc, une des dynamiques européennes qui semblait la plus porteuse vint s’enliser dans les marais mouvants de l’UE et des institutions multilatérales, enlisant ainsi aussi les espoirs portés sur cette dynamique par les forces politiques et sociales en opposition à la politique d’austérité généralisée à l’Europe entière.
Podemos en Espagne ? Porteur lui aussi d’une dynamique spécifique, il échoua à prolonger sa dynamique propre engagée aux européennes lors des dernières élections locales en Andalousie, qui virent conforter le pouvoir enkysté du PSOE. Il est vrai que la controverse puis le départ d’un des membres fondateurs du mouvement, Carlos Monedero, par ailleurs sur une ligne différente de celle de Pablo Iglesias, fit accroire à un certain nombre d’Espagnols que finalement Podemos était un parti « comme les autres », d’autant que le mouvement centriste Ciudadanos est venu occuper l’espace politique laissé vacant au niveau national par le PP et le PSOE.
In fine, la dynamique issue du mouvements des indignés s’est elle aussi retrouvée confrontée sinon à une impasse du moins à une limitation de son champ d’expansion qui fait l’affaire du système politique espagnol, toujours pour préserver sa propre stabilité : tout changer (bipartisme/quadripartisme) pour ne rien changer (même politique reconduite, mais par des alliances). Les municipales d’abord (la semaine prochaine) puis les élections générales en décembre devraient instituer ce nouvel ordre politique qui viendrait renforcer le défaut de soutien politique au gouvernement grec dont celui-ci a tant besoin en Europe, une Europe qui aurait ainsi stabilisé sur ces deux fronts sud les offensives politiques qui étaient en cours, de manière différente mais néanmoins avec le même résultat : stabilité.
Les élections locales en Italie et les élections générales au Portugal, au vu de cet enlisement, ne devraient guère apporter plus de transformations sur le champ politique, d’autant que les élections générales en Grande-Bretagne ont conforté les conservateurs au pouvoir, malgré un bilan calamiteux, même si l’UKIP, mieux que le FN, a conforté une très forte progression en voix mais néanmoins insuffisante au regard des objectifs préétablis en sièges. Le risque d’un débordement par la droite des conservateurs, en Angleterre comme en Allemagne, et en France également d’une certaine manière, a donc été contenu, confortant les conservateurs dans leurs visions de l’Europe et des politiques néolibérales menées.
Last but not least, la gauche de la gauche continue de parler aux Allemands comme avant, avec la dernière charge de M. Mélenchon contre Mme Merkel et son gouvernement, sans oublier son positionnement sur Poutine, qui continuent de produire les tensions nécessaires à l’impossibilité d’une dynamique politique alternative, EELV étant suspendu à l’attente d’un remaniement pour intégrer (ou pas) le gouvernement comme dans un supplice chinois et le PCF srutant le positionnement du PS post congrès pour définir ses très nécessaires alliances pour sa survie politique aux régionales.
À ce tableau d’un paysage politique dévasté – mais stabilisé – avec des positions prises ou perdues sans changer la ligne de front, il faudrait évidemment ajouter un élément essentiel, celui des attentats islamistes. Avec ceux de janvier à Paris, de février à Copenhague et d’avril à Tunis, sans oublier les tentatives d’attentats et la résilience puis la progression de Daech en Irak et en Syrie, on ne peut que constater que la menace perçue comme extérieure, provenant du monde musulman, a participé à conforter la stabilité politique des conservateurs au pouvoir, sans que l’extrême droite (pour l’instant) n’en tire profit en Europe.
Preuve sans doute de l’habileté politique des dits pouvoirs à récupérer la peur et les réactions massives des citoyens (notamment en France le 11 janvier), avec des lois liberticides désormais réprouvées… aux USA. Mais preuve sans doute aussi, comme le montre Emmanuel Todd dans son opus Qui est Charlie ? qui fait actuellement débat, qu’une alliance sociale et politique entre ce qu’il dénomme les MAZ (classes moyennes – personnes âgées – cathos zombies, dont une part est au pouvoir actuellement) et ces conservateurs est en cours de consolidation.
Une alliance pour la stabilité : celle d’un pouvoir renforcé des élites en Europe, celle du pouvoir politique actuel qui reflète ce conservatisme, celle des classes moyennes, malgré les impacts des politiques d’austérité, du moment que les classes moyennes continuent à rester ce qu’elles sont comparativement aux classes populaires, qui elles s’enfoncent dans la croissance des inégalités, celle des personnes âgées, dont les retraites continueront ainsi à être versées même au prix d’une réforme des dites retraites que les seuls actifs d’aujourd’hui et de demain paieront au seul bénéfice des retraités actuels, lesquels sont beaucoup plus enclins à voter (conservateur) comme on le sait que les dits actifs, qu’un tel conservatisme conduit pour une part d’entre eux à préférer de plus en plus l’abstention au vote.
Devant une telle sclérose sociale et politique, celle de la stabilité conservatoire (stabilité qui permet le conservatisme, conservatisme qui permet la stabilité), on serait tenté de dire « fermez le ban », ou « pliez les gaules » (ou « sortez les gaules », pour ne plus aller voter). Car si rien n’est réglé mais bien stabilisé, il s’avère que l’objectif principal des élites au pouvoir (politique, économique, financier) est de préférer une crise de basse intensité qu’ils n’ont pas ou plus les moyens de résoudre, plutôt que de risquer de laisser se développer des dynamiques qu’ils ne peuvent pas forcément maîtriser.
Néanmoins, cette politique conservatrice est à courte vue, car si la force de l’inertie a permis de créer une force de rappel dépassant les dynamiques potentielles décrites fin 2014, son propre mouvement devrait créer d’autres dynamiques. Ainsi, les conservateurs britanniques se sont pris à leurs propres pièges, d’abord en promettant monts et merveilles aux Écossais lors du référendum sur l’indépendance, promesses qu’ils devront tenir, mais aussi un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne en Europe avant 2017, dont on ne connaît pas par avance les résultats, pour le référendum et pour le pays.
De même, il est à noter que si l’exécutif français a une nette marge de manœuvre au sein du PS, ce dernier est exsangue avec des dizaines de milliers de départs (qui ont dû ainsi conforter le rapport de force interne) et seulement 70.000 votants sur les 130.000 restants, soit un nombre très faible pour qui veut ensuite reconquérir l’électorat pour 2017. Rien ne dit non plus que les prochaines élections régionales, avec un mode de scrutin cette fois très différent, ne viendront pas bouleverser ce conservatisme politique et social avec l’émergence d’un FN en embuscade.
Rien ne permet non plus de prédire les résultats par avance de la guerre de tranchées que se mènent le gouvernement allemand et le gouvernement grec, dans un sens ou dans un autre : un grexit viendrait évidemment à nouveau déstabiliser cette belle stabilité politique et économique. Et si Thomas Piketty s’en est allé effectivement parler aux Allemands très récemment, pour leur dire notamment qu’il est temps de parler d’effacement de la dette grecque publique comme ce fut le cas pour l’Allemagne en 1953, on ne peut pas dire qu’au SPD, par-delà l’écoute polie et attentive (qui est mieux qu’un refus), on puisse déceler une quelconque dynamique en cours qui permettrait de remettre en cause un tel statu quo.
À dire vrai, les véritables dynamiques qui apparaissent ainsi relèvent quasiment toutes d’une possible conflagration future, qu’elle soit politique, économique ou monétaire, soit par faiblesse des forces conservatrices restantes face aux dynamiques qu’elles auront elles-mêmes instaurées, soit à l’inverse par excès d’hybris de ces mêmes forces. Ce qui est certain néanmoins, c’est qu’une telle alliance socio-politique se fait au détriment croissant des classes populaires et au bénéfice croissant des élites au pouvoir, en détruisant peu à peu ce qui faisait la spécificité des classes moyennes en Europe ces dernières décennies, à savoir un relatif souci quant aux inégalités réelles et un positionnement équilibré entre des libertés individuelles revendiquées, l’égalité potentielle et la fraternité proclamée.
Considérant la marge de progression de l’extrême droite, que les effets d’une telle alliance devraient produire, les réactions au livre d’Emmanuel Todd qui confortent l’analyse d’un bloc MAZ, le reniement par les classes moyennes de l’égalité pour les promesses inégalitaires individuelles toujours à venir du néolibéralisme, la fraternité schizophrénique potentiellement excluante et in fine la perte des libertés individuelles (loi sur le renseignement), on aurait beau jeu de dire alors : « fermez le ban ».
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