Billet invité. Ouvert aux commentaires.
La sagesse vient-elle au chercheur qui parvient à la cinquantaine ? Peut-il enfin, libéré des questions de carrière, faire son « maître Yoda », utiliser son expertise pour explorer enfin à fond ce qu’il maîtrise si bien ? C’est ce qui semblerait le mieux dans une majorité de cas. Mais, oublions même les financements et considérons seulement la récompense en termes de reconnaissance scientifique : je veux parler du fameux « facteur h ».
Pour ceux qui ne connaissent pas le « facteur h » ou Hirsch factor, voyez l’explication qu’en offre Wikipedia.
Dans une bonne carrière scientifique, ce facteur avoisine 40 typiquement à l’âge mûr : 6 à 12 papiers par an dans la période prolifique (33-50 ans en très gros), soit en tout un package de 150+/-50 dont les 40 meilleurs seront cités plus de 40 fois. Arrivé à ce niveau, le risque de stationner est grand : même avec de l’excellent travail, notre chercheur n’est cité que par ses collègues mondiaux aux thèmes proches : ça laisse le h au niveau 40 car il n’y a pas vraiment plus de 10-20 labos pour le citer, chacun 1 ou 2 fois, tout ça dépasse rarement 30-35 citations au bout de 3 ans, puis ça n’augmente plus. Donc les papiers du « bon chercheur » vont faire dans l’histogramme de la bibliométrie un bourrelet de nombre de citations N sous le fameux seuil h.
Et que vous le vouliez ou non, cela vous ramène un sentiment de demi-échec.
Contre cela, ou bien pour d’autres ambitions, il faut en quelque sorte chercher un « trou de ver » dans l’espace scientifique. C’est ce qu’explique à merveille le chimiste de l’ARN James R. Williamson dans ce texte : My h-index Turns 40 : My Midlife
En effet, la principale façon honorable de casser la baraque consiste alors à changer de sujet. Et ce malgré la super-expertise qui fait qu’on est un des rares qui était sûr de bien faire avancer le sujet qu’on va lâcher. Donc on se lance sur un sujet porté par une communauté plus large, en espérant faire un « gros coup » (5 papiers cités > 45 fois !) au bout de quelques années, mais en devant ramer pour renouveler son fonds de commerce après la transition.
Ce n’est pas très productif collectivement de renoncer ainsi au « bon artisanat », en quelque sorte, et ce qui remplace est un « gros coup » voulu comme tel, pas forcément très pérenne. On va en gros essayer de coloniser une autre planète scientifique, on en ramène « un lot de h » qui permet de se shooter, mais il n’est pas évident qu’on aide tout le monde. Certes il faut des fertilisations croisées entend-on ici ou là. N’est-il pas plus logique de laisser humblement les plus jeunes s’approprier ces champs croisés plutôt que d’y faire une rapide « injection-fracturation » qui rapporte juste à court-terme ? Cela demande de construire des réciprocités plus complexes, où l’expert mûr qui prend un autre risque, celui de s’encroûter, doit pouvoir métaboliser aussi les savoirs transversaux émergents autour de son domaine.
Cette rapide analyse suggère que dans des domaines aussi variés que l’agriculture ou l’organisation de la recherche ou encore l’extraction du carbone fossile, les inspirations que nous pouvons prendre d’Interstellar sont utiles, pour la Leia, ou le Luke autant que pour le Yoda qui est en nous.
Cela peut aussi être un modèle pour faire percoler et essaimer les idées du Blog, …avis aux Leiamateures et Yodamateurs!
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