Billet invité.
La publication récente par Mediapart dans des conditions cocasses de l’étude de l’ADEME « Vers un mix électrique 100% renouvelable en 2050», a suscité quelques remous. Elle a pourtant le grand mérite d’enrichir le débat sur la transition énergétique en montrant que le 100% renouvelable n’est pas une utopie à l’horizon 2050, mais une option techniquement et économiquement possible, dont le choix est donc « politique » au meilleur sens du terme.
Sur le fond, il convient de rappeler que, quoi qu’en disent les détracteurs de l’optimisme énergétique, l’analyse des données disponibles est plutôt rassurante pour le long terme, pour une raison simple et difficilement réfutable : on admet généralement que le soleil rayonne chaque année sur la terre 8,2 millions de quads, soit 2,4 milliards de térawatts/h. Or la consommation humaine est actuellement d’un peu plus de 500 quads, et tout porte à croire qu’elle ne devrait pas dépasser 2 000 quads, soit moins de 0,25%, quand, – les progrès technologiques aidant dans le domaine de l’efficacité énergétique -, la population humain se stabilisera et que chaque terrien aura accès à un mode de vie décent, s’il le souhaite. Si l’on ajoute les potentiels éoliens, géothermiques et hydrauliques, on conçoit assez facilement que la fourniture d’énergie durable n’est pas un problème de disponibilité de la ressource, mais un problème de « technologie », de choix de société, et, last but not least dans notre monde hyper-marchandise, de modèle d’affaires.
Cette hypothèse est paradoxalement confortée par l’opposition souvent virulente des écologistes les plus allergiques à toute forme de recherche un tant soit peu sophistiquée sur l’amélioration de la collecte et du stockage de l’énergie solaire par voie biologique (biomasse), mais aussi par l’obstination des grands operateurs actuels de l’énergie à affirmer haut et fort que les énergies renouvelables ne seront jamais qu’un gadget en appoint au nucléaire et aux énergies fossiles.
Malgré les indéniables qualités de ce document de référence, on peut toutefois être légitimement un peu surpris par la part belle qu’il réservé à l’éolien. Il est, bien sur, possible d’envisager de couvrir la France et ses eaux territoriales d’éoliennes de surface, mais il n’est pas certain que ce soit la bonne solution, et ce d’autant plus que les éoliennes de très haute altitude, une des options technologiques envisageables, ne sont même pas citées. Elles ont l’inconvénient de créer des risques pour le trafic aérien, et ne sont pas encore au point techniquement aujourd’hui, mais, à moyen et long terme, elles ont l’avantage d’une part de produire de façon beaucoup moins aléatoire car les vents de haute altitude sont non seulement plus forts mais aussi plus réguliers (cf. par exemple : Geophysical limits to global wind power) et, d’autre part, de ne nuire ni aux oiseaux, ni à la beauté des paysages.
Toutefois, et même si l’on introduit cette possibilité technologique nouvelle, l’irrégularité de la production éolienne la rend probablement irréaliste au delà d’une certaine part du mix énergétique, vraisemblablement inferieure aux 63% prévus dans le scenario de référence du rapport tant que l’on n’aura pas trouvé de solution efficace au stockage de l’électricité. Quand il est possible, le pompage hydraulique offre actuellement le meilleur rapport qualité/prix, qu’il s’agisse de retenues classiques ou de stations de pompage. Les études sur ce sujet fourmillent : batteries, électrolyse de l’eau/hydrogène/piles à combustibles, stockage thermique, volants d’inertie, air comprimé, à plus long terme stockage magnétique supraconducteur, etc. Mais elles restent coûteuses ou peu performantes. Les Américains, en particulier au Texas, ont une solution simple : ils éliminent le stockage en complémentant les énergies renouvelable par l’installation de turbines à gaz en relève des éoliennes ou du solaire. Dans leur cas, ils utilisent comme combustible du gaz de schiste fossile dont ils disposent en abondance pour les décennies à venir. Il pourrait en être de même en France, mais c’est écologiquement exclu, et il n’y a que le gaz de biomasse ou de déchets qui serait acceptable, ce qui est impossible techniquement, car la ressource disponible à un coût compétitif serait insuffisante pour suppléer 63% de la production électrique.
L’autre point critiquable est que l’on reste sans le dire trop ouvertement dans un schéma relativement classique de fourniture d’énergie, avec des producteurs spécialisés, des acheteurs, et une grille de transport et de distribution entre les deux. La seule chose qui change vraiment est le nombre des sites de production, qui est effectivement un sérieux problème pour un système français conçu autour d’un petit nombre de grosses unités de génération.
L’autoproduction locale est certainement une des voies de l’avenir, et pas seulement avec des capteurs photovoltaïques. Les sites industriels qui ont une station de traitement des eaux et quelques déchets organiques peuvent par exemple produire entre 15 et 100% voire plus de leur électricité par méthanisation ; de même, celles qui ont des déchets combustibles (IAA, papeteries, bio raffineries, de nombreux sites industriels et commerciaux…) peuvent les brûler ou les gazéifier pour satisfaire tout ou partie de leurs besoins en énergie. C’est particulièrement intéressant dans le cas de la cogénération (production simultanée d’électricité de chaleur et/ou de froid) car on peut alors valoriser jusqu’à 80% de la chaleur latente des combustibles.
Les mêmes schémas peuvent s’appliquer aux locaux professionnels et aux habitations. Il y a de plus en plus de technologies de cogénération disponibles capables de fournir simultanément l’électricité, l’eau chaude, et l’air conditionné d’immeubles de bureaux, de sites industriels ou de maisons individuelles et d’immeubles d’habitation à partir de biomasse locale, d’énergie solaire thermique, ou de panneaux photovoltaïques hybrides refroidis à l’eau, dont l’eau chaude peut être valorisée pour le chauffage et la production d’eau chaude sanitaire; elles ont toutes l’avantage de permettre une très bonne valorisation (jusqu’à 80%) des sources d’énergie utilisées.
Mais ces nouveaux mode de production sont mieux adaptés à de nouveaux modèles d’affaires, dans lesquels le vendeur possède, installe, fait fonctionner et entretient l’équipement et facture au client des kWh, des litres d’eau chaude, des calories, des frigories, voire un niveau de confort : par exemple de 22 C minimum en hiver et 25 C maximum en été. Notre énergéticien national et certains de ses concurrents le font déjà pour ne pas perdre ou pour conquérir de gros clients industriels et commerciaux, mais il serait sans doute vain de compter totalement sur eux pour généraliser ces pratiques décentralisées et plus exigeantes en personnel. Le rapport de l’ADEME n’aborde pas ce point essentiel. C’est sans doute sa plus grande faiblesse, car le renouvelable pour être viable doit être abordé localement. Ainsi, de même que les éoliennes marquent le retour des moulins à vent d’antan, la petite hydraulique pourrait rendre bien des services localement en réhabilitant les sites des moulins qui ont fourni une part appréciable de la force motrice utilisée en France jusqu’à la fin du 19ème siècle. Plus que jamais, small is beautiful !
PJ : « Un lecteur d’aujourd’hui de mon livre Principes des systèmes intelligents » Je pense que c’est le commentateur Colignon David*…