Billet invité.
J’ai eu l’occasion cette semaine de visiter la fondation Louis Vuitton construite par Frank Gehry, architecte californien de renommée internationale, et la Philharmonie de Paris tout juste livrée par Jean Nouvel, un des architectes Français les plus connus sur la scène architecturale mondiale.
La visite de ces deux équipements, exceptionnels tant par leur résolution formelle que par leur destination (l’un comme musée privé et l’autre comme grand équipement public voué à la diffusion d’œuvres musicales symphoniques), force la réflexion sur le sens de ces investissements financiers pharaoniques dans ces temps de crise qui sont les nôtres et sur la forme qu’ils ont pu prendre.
La Fondation Louis Vuitton
Le grand public connaît déjà l’œuvre de Frank Gehry, architecte post-moderne qui s’est fait connaître dans les années 80 aux États Unis et notamment en Californie pour son style très personnel et inimitable et dont nous avons déjà en Europe un exemple emblématique à Bilbao : le Musée Guggenheim (1997). Fort de ce succès Frank Gehry réitère l’exercice grâce à la commande que lui fait Bernard Arnault, collectionneur d’art et président de LVMH.
La visite est conduite par deux jeunes ingénieurs qui viennent de consacrer ces six dernières années à l’étude et au suivi de l’exécution des structures du projet.
Quand on approche du site, une fois dépassée l’entrée du Jardin d’acclimatation, on est frappé par le gigantisme et la complexité du bâtiment, sorte de dirigeable déstructuré qui vient juste d’atterrir. La transparence et le reflet du ciel sur les vitrages courbes des « voiles » qui enveloppent le bâtiment lui donnent une étonnante légèreté.
Ce projet procède de trois concepts forts : réaliser un bâtiment musée fonctionnel et finalement assez simple dans sa conception (on verra comment plus loin), concevoir une enveloppe extérieure onirique qui fasse du bâtiment une œuvre, utiliser des matériaux de qualité pour garantir la pérennité du bâtiment dans le temps.
Les deux ingénieurs me montrent la coupe architecturale du projet : celle-ci représente une section verticale sur l’ensemble du bâtiment avant la mise en œuvre des structures extérieures qui permettent de suspendre les grandes « voiles » de verre. Ce bâtiment ainsi présenté semble d’une banalité désarmante : les planchers, les murs, les terrasses, et les façades qui le constituent sont d’une géométrie orthonormée sans aucune complexité et entièrement construits en béton. Il constitue la structure primaire de l’ensemble architectural sur laquelle toute l’installation va ensuite se fixer. Bien évidemment cependant les calculs de cette structure béton vont tenir compte des surcharges liées aux points de fixation des charpentes qui devront soutenir le poids des « voiles » de verre extérieures.
Ce qui caractérise le travail de l’agence de Frank Gehry dans l’élaboration de ce projet est le grand soin porté au dessin des structures mixtes métal/bois qui sont visibles et qui occupent l’espace entre les parois béton du bâtiment proprement dit et les « voiles » de verre extérieures. C’est bien là que se situe la complexité, mais c’est une complexité maîtrisée : les jonctions métal/bois sont magnifiquement réalisées, toute la serrurerie d’accompagnement est en inox, tous les détails de finition sont dessinés, la synthèse des plans d’exécution en trois dimensions a été réalisée avec soin. Je demande à mes deux guides l’impact de la prise au vent dans les « voiles » de verre sur le calcul des structures. L’étude réalisée en soufflerie a montré que cet impact était minime (5%) au regard du poids propre du verre et des structures.
Au-delà du style architectural et de la forme, que l’on peut ou non apprécier, ce bâtiment restera une œuvre majeure de l’expression architecturale du XXIème siècle. En effet loin d’être un volume plastique dont le seul but serait de magnifier une sculpture construite, il allie une étonnante fonctionnalité avec la volonté d’offrir aux visiteurs une lecture structurelle des armatures de soutien des « voiles » de verre, lesquelles jouent poétiquement des reflets du paysage et des perspectives qu’elles provoquent sur les immeubles de la Défense ou le Bois de Boulogne.
Les salles d’exposition et les œuvres qui y sont présentées valent tout autant le déplacement.
La Philharmonie
Ma visite à la Philharmonie de Paris, située à la Villette, fut très différente. J’aborde le bâtiment seule et sans guide. Au sortir du métro je reconnais la Cité de la musique construite par Christian De Portzamparc et achevée en1990. Dans la même perspective, mais juste en arrière-plan, on ne peut ignorer la présence de cette forme incompréhensible qu’est la nouvelle Philharmonie de Paris. Cette salle symphonique et les salles de répétition qui l’accompagnent faisaient initialement partie du programme de la Cité mais le manque de financement n’a pas permis leur réalisation. Il s’agit donc d’une extension de la Cité de la musique, mais quelle extension !
Avant tout je déambule dans les espaces de la Cité de la Musique, en hommage à Christian de Portzamparc, dont j’apprécie le travail et la sensibilité. Ce bâtiment à l’écriture post-moderne très caractéristique du style architectural des années 80 a bien vieilli. Il garde un charme un peu nostalgique accentué par l’utilisation des couleurs et des matériaux « d’époque » : carrelages et mosaïques faïencées qui décorent les façades extérieures et intérieures.
Mais revenons à la Philharmonie, ou plutôt allons-y. Je suis incapable de décrire la forme qui enveloppe le projet tant elle me semble, contrairement à la Fondation Louis Vuitton, ne procéder d’aucune volonté explicite. Ce qui choque en tout premier lieu est l’ignorance absolue du voisinage, et surtout de la Cité toute proche. Aucun lien, aucune accroche entre les deux bâtiments. Le parvis d’entrée et son grand escalier déboulent sans crier gare : nous y voilà. Je choisis de monter les marches interminables qui permettent de rejoindre la passerelle qui domine le périphérique. Jean Nouvel a conçu ce projet comme une butte, la « butte de la Villette », en référence à la « butte Montmartre », on se demande pourquoi ? La Philharmonie a été inaugurée, mais le bâtiment n’est pas fini : la peau extérieure, revêtue de pavés de fonte d’aluminium gris et noirs dont le motif reprend une myriade de dessins d’oiseaux stylisés, est par endroit écorchée vive. Je découvre ainsi les entrailles du monstre : enchevêtrement de charpentes de toutes tailles et recouvertes comme il se doit d’une pate fibreuse de flocage pour la protection au feu. Ici la structure soutient la forme et non l’inverse comme c’est le cas pour la fondation Louis Vuitton. Je m’explique : l’architecte a dessiné une forme aléatoire et les ingénieurs ont installé une structure en sous-œuvre au service de la forme. Elle est ensuite entièrement « capotée » par les revêtements extérieurs. Il n’y a aucune interaction de l’une à l’autre (la structure et la forme).
Ne pouvant pénétrer dans la salle de concert je poursuis ma visite en contournant la « butte » sur ses façades latérales. L’ensemble procède d’un véritable capharnaüm de plissés recouverts des mêmes écailles d’aluminium. A vrai dire je n’y comprends rien. Au-delà de l’incompréhension, l’émotion que l’on ressent parfois devant une œuvre d’art ou d’architecture n’est pas au rendez-vous. Je projette cependant de découvrir plus tard la salle symphonique : l’acoustique y est paraît-il excellente.
Me revient un article de Céline Nivet (revue d’architectures n°234 avril 2015) : « loin de l’état d’ahurissement dans lequel nous laissent certains projets contemporains, peut-on (…) espérer des projets dont la raison d’être ne serait pas simplement de déformer la réalité, mais de faire émerger la part de malice, d’enchantement et de maléfice tapie dans le monde sensible. »
@Jean-François Ma foi, il faudrait pouvoir poser cette question à ceux qui ont inventé l’histoire du paradis terrestre…ou à ceux…