Dans l’édition imprimée de Trends – Tendances.
Qui ne s’est fait, au cours des trente dernières années, la réflexion suivante : « Il est regrettable que tant de jeunes gens intelligents consacrent tout leur talent à faire gagner de l’argent aux banques. Ne s’agit-il pas là de talent gâché ? »
Deux chercheurs de la Banque des règlements internationaux, « la banque centrale des banques centrales », Stephen Cecchetti et Enisse Kharroubi ont eu la curiosité de vérifier ce qu’il en était et ont calculé combien cela nous coûte. La conclusion de leur étude publiée le mois dernier est que cela nous coûte cher : plusieurs points de productivité.
Sans examiner les conséquences de l’absence de ces talents dans la Recherche et le Développement d’autres secteurs, ils mettent en évidence que la concentration des cerveaux dans la finance a contribué à l’hypertrophier et à faire que les banques ont attribué de préférence leur financement aux industries où le collatéral mis en garantie du crédit obtenu est élevé et la rentabilité faible.
C’est l’immobilier tout particulièrement qui présente bien entendu ces caractéristiques : c’est dans la construction que l’impact de l’informatique a été le plus faible, et l’immeuble à l’origine de l’emprunt peut jouer le rôle de collatéral pour celui-ci.
Cette constatation rejoint celle d’un autre chercheur, Matthew Rognlie du MIT qui, s’interrogeant sur les gains du capital auxquels s’est intéressé l‘économiste français Thomas Piketty dans son livre à succès Le capitalisme au XXIe siècle (2013), met en évidence que la quasi-totalité de ces gains consistent en plus-values dans l’immobilier.
L’image qui se dégage de ces deux études va dans le sens des réflexions de Lord Adair Turner, directeur jusqu’en 2013 de la Financial Services Authority au Royaume-Uni, le régulateur à cette époque des marchés financiers. Turner attirait l’attention en 2010 sur le fait qu’il est nocif qu’un secteur dépasse la taille correspondant à son véritable rôle économique. À un contradicteur prétendant que le secteur financier devait s’efforcer de devenir le plus gros possible, Il avait répondu que l’on n’imagine pas que les centrales électriques cherchent à excéder la demande du marché, la capacité du secteur de l’énergie devant être celle des besoins apparus dans l’économie. Sa seconde réflexion était que si l’on distingue parmi les activités financières celles qui sont « socialement » et « économiquement » utiles, on découvre avec stupéfaction que les prêts au logement (représentant 65% du crédit au Royaume-Uni et 75% si l’on y ajoute les locaux à usage commercial) n’ont rempli au cours des deux derniers siècles qu’une seule fonction : faire que le parc immobilier soit revendu par chaque génération à la génération suivante à un prix ridiculement gonflé – la « justification » en étant que le prix du foncier augmente inexorablement. Il ne s’agit là selon Turner que d’une rente indûment perçue par une génération sur celle qui lui succède.
Noah Smith de l’agence Bloomberg trouve cependant à cette hausse une explication : le bénéfice qu’il y a à exercer une activité dans un centre urbain. L’espace au cœur d’une ville n’étant pas infiniment extensible, la rareté fait grimper les prix. La rente générée par cette tendance séculaire étant sans rapport avec l’effort ou le talent, il suggère de la taxer. Il fait remarquer que Milton Friedman, dont l’antipathie envers l’État était cependant légendaire, considérait qu’une taxe foncière, ponctionnant cette rente au profit de la communauté dans son ensemble, pouvait être considérée comme « la moins mauvaise des taxes ».
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Stephen G. Cecchetti and Enisse Kharroubi, « Why does financial sector growth crowd out real economic growth ? », BIS Working Papers No 490, February 2015
Matthew Rognlie, « A note on Piketty and diminishing returns to capital », le 15 juin 2014
Noah Smith, « Piketty’s three big mistakes », Bloomberg, le 27 mars 2015
Adair Turner, « Economics, conventional wisdom and public policy », Institute for New Economic Thinking Inaugural Conference, Cambridge, avril 2010
@Ilicitano Et pendant ce temps-là…on néglige totalement l’énergie que peuvent produire les êtres humains(« l’huile de bras », et d’imagination combinée à…