Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Remplacer la Troïka improvisée en mai 2010 par autorité de curatelle adaptée aux réalités nouvelles résultant à la fois du traité de Lisbonne, du pacte budgétaire européen (TSCG) et de la crise économique et financière est devenu indispensable et urgent.
Cette Autorité de Curatelle Tripartite (ACT) aurait pour fonction d’assurer, après décision d’une Cour Européenne des Tutelles, la protection de tout gouvernement national dont les décisions (1) ne seraient pas conformes aux Traités ou (2) iraient à l’encontre des décisions du Conseil ou de la Commission ou (3) feraient obstacle à l’action de la Banque Centrale Européenne.
Un gouvernement protégé pourrait continuer à accomplir en toute souveraineté la plupart des actes qui lui sont habituellement dévolus. Cependant, pour certains de ces actes tels que le budget, les impôts ou les privatisations, pour lesquels les intérêts de l’Union s’opposent souvent à ceux du pays concerné, le gouvernement protégé devrait se soumettre au contrôle de l’ACT et suivre impérativement ses conseils.
Depuis la déclaration de Jyrki Katainen vice-président de la Commission européenne : « We don’t change policies depending on elections”, qui reprend sous une forme concise et limpide d’autres déclarations allant dans le même sens, il est devenu clair que, de quelques tendances qu’ils soient, les programmes politiques déraisonnables, populistes et extrémistes ne sont pas compatibles avec les règles de l’Union. Dans un ensemble qui compte pas loin d’une trentaine de membres, les revirements électoraux trop fréquents et les gouvernements instables auxquels ils conduisent n’ont plus leur place et ce d’autant plus que cette instabilité risque de mettre en péril la monnaie unique, résultat des efforts et des sacrifices de tous.
Le remplacement du gouvernement Berlusconi, incapable de se conformer au règles communautaires, par celui de Mario Monti à la suite des pressions exercées par la BCE et accessoirement par les membres les plus influents du Conseil et de la Commission n’a abouti à aucun résultat durable, ce gouvernement ayant été balayé par le suffrage universel à la première occasion …ceci n’empêchant d’ailleurs pas une large majorité d’électeurs de se dire attachés à l’Europe et opposés à l’abandon de l’euro!
Le chantage permanent exercé par des partis favorables à la sortie de l’UE pour les uns ou l’abandon de l’euro pour les autres, après référendum ou non, est incompatible avec la stabilité nécessaire à l’économie de marché et a fortiori avec le financement des États membres par ce même marché, deux des choses auxquelles nous nous sommes engagés par des traités irréversibles et de plus en plus contraignants.
Seuls des programmes politiques conformes aux traités et tenant compte de manière réaliste du principe de suppléance comme du principe de subsidiarité peuvent permettre un fonctionnement harmonieux des institutions et assurer la stabilité indispensable à la cohérence d’un ensemble européen attaché à sa monnaie commune.
La Cour Européenne des Tutelles, à qui il reviendrait de décider de la mise en curatelle, pourrait faire penser à la Cour Suprême des États-Unis qui est appelée à trancher dans d’innombrables et inévitables querelles de répartition des pouvoirs entre les États de l’Union et les institutions fédérales. La Cour Suprême a par exemple décidé en 1857 que les Noirs n’étaient pas et ne pouvaient pas être citoyens des États-Unis ou encore que le gouvernement fédéral ne pouvait pas interdire l’esclavage dans les territoires de l’Ouest (cette dernière décision s’étant avérée par la suite une des causes principales de la guerre de Sécession.)
Il y a cependant une différence radicale entre les États-Unis et l’Europe: les décisions de la Cour Suprême portent le plus souvent sur des points de droit que le Président et son gouvernement peuvent aisément faire appliquer une fois que la Cour a tranché, au besoin en faisant appel à la force. A l’inverse c’est l’application des décisions de Bruxelles par les États concernés qui laisse à désirer puisque l’UE ne dispose pas de services fiscaux communs, ni de services de renseignement communs, ni non plus d’une police et d’une force militaire susceptible d’intervenir en dernier recours.
Comme on peut s’en rendre compte lors des interventions de la Troïka, le flou concernant les domaines dans lesquels les différents niveaux de pouvoir et de contrôle ont à intervenir est une autre source de désordre et de confusion. Grâce à l’action directe de l’ACT les choses deviendraient beaucoup plus simples, rapides et efficaces.
Les cas de la Grèce (Syriza) ou de l’Espagne (Podemos) sont des exemples évidents pour lesquels il ne semble pas nécessaire d’argumenter longuement sur l’intérêt d’une mise en curatelle qui les protégerait de leurs propres erreurs. Il suffit de dire qu’une surveillance de leurs emprunts publics aurait évité à ces deux pays bien des souffrances et que les deux partis extrémistes en question constituent un menace inadmissible pour l’euro.
Le cas du Royaume-Uni est à l’inverse bien plus délicat à trancher : en raison d’une tradition de fierté un peu rigide de ses gouvernements, d’une méfiance quasi systématique envers Bruxelles, de traditions démocratiques séculaires restant encore profondément ancrées dans l’esprit de ses citoyens et du fait qu’il détient l’arme nucléaire, on imagine mal qu’une forme quelconque de mise sous tutelle du Royaume-Uni soit possible. Il semble donc que son départ soit à terme aussi souhaitable que difficilement évitable, d’autant plus que l’euro ne s’en trouverait pas menacé.
La solution la plus habituelle pour les autres pays membres, adoptée par exemple par l’Italie et la France à plusieurs reprises, a été de présenter aux électeurs un programme plus ou moins incompatible avec les règles et traités tout en rassurant les autorités de Bruxelles sur la ferme intention qu’ils avaient de ne pas appliquer ce programme. Certes, cela permet d’habituer progressivement les électeurs aux réalités nouvelles mais cela affaiblit tellement leur pouvoir politique que ces gouvernements ne peuvent ensuite assurer l’équilibre de leur budget et le remboursement de leur dette. Cette attitude politicienne de double jeux vis à vis de Bruxelles et qui menace l’euro à chaque élection (Front National de Marine Le Pen, M5S de Beppe Grillo) serait quasiment impossible dès lors que celle-ci se déroulerait sous la menace d’une mise en curatelle par la Cour Européenne des Tutelles.
Les membres de cette Cour Européenne des Tutelles, inamovibles comme ceux de la Cour Suprême, devraient être choisis par la Commission sur proposition du Conseil. Ainsi, libérés de toute contrainte électorale, ils seraient en mesure de protéger contre eux-mêmes les pays qui seraient confiés à l’ACT afin de les guider sur la voie la plus efficace: la compétitivité, la croissance, l’équilibre financier et finalement le remboursement de la dette qui assurerait la pérennité de l’euro.
Comme l’a montré aux États-Unis la guerre de Sécession et le million de morts qui s’en est suivi, il n’y a pas d’alternative au strict respect des règles communes quand il s’agit d’éviter les aventures irresponsables et les catastrophes auxquelles elles conduisent fatalement.
Laisser un commentaire