Et les « boîtes noires » des centrales nucléaires ?, par Alain Corréa

Billet invité.

La vérité est parfois cruelle mais ces jours-ci, elle a pris une allure épouvantable avec la découverte de l’origine du crash de l’Airbus allemand. En effet, le CVR ou cockpit voice recorder (enregistreur de conversations de la cabine de pilotage) a permis de savoir que le copilote avait sciemment précipité l’avion et ses passagers vers une mort certaine.

Sans le CVR, peu de personnes auraient imaginé cette hypothèse.

Le BEA analysait les éléments sonores mais la soudaineté de l’accident et son étrange « scénario » rendaient l’attente insupportable. Cette connaissance macabre mais essentielle a toutefois été possible grâce à une indiscrétion des milieux de l’enquête relayée par le New York Times, le tout à peine 48 heures après le terrible drame. Les auteurs des fuites font d’ailleurs l’objet d’un dépôt de plainte contre x par le syndicat des pilotes de ligne pour avoir rompu le secret de l’instruction (1).

Encore secoués et bouleversés par la nouvelle, un retour sur l’actualité permet une analyse de certains précédents.

Rappelez-vous. C’était le 5 avril 2012 dans la matinée (2).

A 15 kilomètres au nord de Dieppe, à Penly, la centrale nucléaire qui compte 2 réacteurs double enveloppe de 1.300 Mw, était victime d’un incendie dans un des bâtiments réacteur où se trouve une des quatre pompes primaires en charge du refroidissement du réacteur.

On sut qu’une fuite d’huile en était à l’origine. Celle ci s’était enflammée au contact des parties brûlantes de l’installation. Une fuite d’eau radioactive était également évoquée. (3)

On ne peut que féliciter les pompiers intervenus très rapidement sur les lieux pour circonscrire rapidement le sinistre. Ils sont entrainés pour cela et savent que chaque minute est précieuse. Les médias, informés dans la matinée, réalisaient des directs et relayaient l’incident. Au final, une fuite d’eau légèrement radioactive, jugulée et récupérée mais aucune victime à déplorer.

Plus tard, en juin de la même année, à l’occasion d’un compte rendu du HCTISN (haut comité sur la transparence et la sûreté nucléaire) du 21 juin 2012 (4), on apprit qu’il y avait eu, quelques heures avant l’incident, « L’enclenchement de la cellule contacteur de la pompe peut -être la conséquence soit d’une défaillance du contrôle commande, soit d’une défaillance de la cellule soit d’une erreur humaine. 2 hypothèses sont encore en cours « .

Cela ressemble un peu à une devinette. Puis, un peu plus loin  » Une analyse détaillée de l’événement se poursuit pour en tirer tout le retour d’expérience de façon à renforcer nos organisations ».

Travail en interne à EDF, sans analyse ou regard extérieur de l’ASN, seul juge en la partie.

Au final, un joint mal positionné et trop fortement sollicité durant plusieurs heures fut également considéré comme fautif. Après 3 mois d’arrêt tout de même et plus de 150 millions d’euros de manque à gagner en production électrique, le réacteur fut remis en route (5).

Cependant, ce « coupable idéal », masque une triple réalité :

– D’abord, le facteur humain, évoqué dans le rapport du HCTISN, passe au second plan puis semble disparaitre. Malgré un protocole bien établi, contrôles avant, pendant et après intervention, c’est quand même bien un opérateur qui a initié le processus qui a conduit à la fuite. Là-dessus, EDF ne semble pas s’étendre publiquement. On les comprend un peu…

– Puis, il est mentionné dans le rapport que  » Une analyse détaillée de l’événement se poursuit pour en tirer tout le retour d’expérience de façon à renforcer nos organisations ».

Nul doute qu’en interne, le sujet a dû être débattu. Mais l’ASN, l’autorité de Sûreté Nucléaire et son support technique l’IRSN, l’institut de recherche et sûreté nucléaires, ont également leur mot à dire car EDF est ici juge et partie.

Renseignement pris, au 26 mars 2015, la direction de l’ASN Caen nous répond : « L’IRSN n’a pas encore été en mesure de transmettre à l’ASN les conclusions de son instruction détaillée et transversale concernant les facteurs organisationnels et humains en lien avec l’évènement du 5 avril 2012 à Penly. L’ASN prendra en compte ces conclusions une fois connues. » (6)

On constate amèrement que, 3 ans après, les implications formelles des effets du facteur humain et organisationnel, le FOH, pour faire simple, l’erreur humaine évoquée dans le rapport du HCTISN, ne sont toujours pas officiellement « décortiquées ». Même s’il n’y a pas eu de victime, on savait l’ASN et l’IRSN débordés et en sous-effectifs mais il y aurait quand même lieu de se poser certaines questions quant à la rapidité de leurs analyses.

– Enfin, l’information relative au crash de l’Airbus, a pu être connue grâce à l’existence de « boîtes noires », d’enregistreurs, qui font malheureusement cruellement défaut dans le crash de l’avion de la Malaysian Airlines par exemple.

Il faut savoir à ce propos qu’aucune centrale nucléaire au monde, aucune (il y en a environ 440 tout de même sur la planète) ne comporte ce type d’enregistreur.

On n’en trouve pas davantage dans les futurs EPR et les « grands carénages » (modernisation des centrales existantes) n’en prévoient pas, alors que le contrôle-commande sera lui passé en numérique.

Les ordres aux appareils, les positions demandées et réalisées, les situations réelles, vanne ouverte, fermée, non ouverte, non fermée, sont effectivement consignés et enregistrés en temps réel.

Les conversations de situation de crise entre EDF et l’ASN sont également enregistrées – il pourrait d’ailleurs être intéressant, à titre « d’exercice », de pouvoir écouter celles du 5 avril, car crise il y avait.

Mais pas les sons ni les alarmes, pas les conversations ni les personnes présentes, pas l’ambiance, ce qui se dit mais aussi ce qui n’est pas dit, qui le dit, sur quel ton, dans quel contexte, tous ces sons relatifs à la salle de commande, nœud névralgique s’il en est, d’une centrale nucléaire en marche, pas plus qu’il n’y a d’images des informations qui sont affichées sur les indicateurs, qui peuvent parfois surprendre et dérouter les opérateurs. Cela s’est déjà vu dans l’aérien avec des pilotes prenant des images de la planche de bord avec des téléphones portables pour tenter d’expliquer certaines situations non prévues ou déroutantes (7).

De plus, on sait la fragilité de l’humain et sa perte de capacité d’analyse et de réaction lors de situation de stress intense.

Vous me direz qu’après un accident majeur, cela ne servira pas à grand chose de savoir qui a fait quoi alors que la situation est terminée et dramatique. Cela reste à vérifier.

Mais, les « boîtes noires » servent aussi à apprendre à ne pas refaire les mêmes erreurs, parfois mineures qui conduisent à l’accident majeur.

Si l’on prend l’accident du 5 avril à la centrale de Penly, on ne sait pas grand-chose officiellement sur le facteur humain et on a l’impression que l’erreur pourrait se répéter.

Il s’agissait pourtant d’un jeune opérateur EDF, formé par EDF mais nouvellement utilisateur d’un type de commande particulier, ce que le directeur de la centrale a reconnu en public.

En revanche, ce dont on ne sait rien, c’est ce qui a été mis en œuvre pour que l’incident ne se reproduise pas.

C’est le travail de l’ASN, seul inspecteur du travail autorisé à se rendre dans les centrales nucléaires, de vérifier, valider et diffuser ces modifications dans les protocoles de travail.

3 ans après, nous attendons toujours.

Fort des récentes catastrophes qui à chaque fois nous émeuvent profondément, il paraît essentiel de se donner le maximum de chances de maîtriser toutes ces technologies qui sont au cœur des sociétés contemporaines et dans notre quotidien. Les enregistreurs permettent tôt ou tard de faire émerger la vérité et comprendre ce qu’il s’est passé afin de ne pas recommencer.

Encore faut-il qu’il y en ait, que leurs informations soient accessibles techniquement et juridiquement, voire par désobéissance.

Où il y a de l’humain, il y a faillibilité (8).

Le domaine de l’aérien l’a bien compris et l’a intégré par obligation.

L’industrie nucléaire a encore des efforts à fournir.

 

Alain Corréa, Collectif Stop-EPR, ni à Penly ni ailleurs, membre de la Commission Locale d’Information sur le Nucléaire Paluel-Penly-Dieppe (9).

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1 – http://www.franceinfo.fr/actu/faits-divers/article/crash-de-l-a320-le-snpl-va-porter-plainte-contre-x-pour-violation-du-secret-professionnel-661103

2- http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/04/06/que-s-est-il-passe-a-la-centrale-de-penly_1681749_3244.html

3 – http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20120406_incident-penly.aspx

4 – http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/Penly_par_EDF_cle8f146e.pdf

5 – http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/02/01/97001-20130201FILWWW00582-penly-causes-humaines-et-materielles.php

6 – Mel de l’ASN Caen.

7- http://www.icao.int/safety/airnavigation/AIG/Documents/Safety%20Recommendations%20to%20ICAO/Final%20Reports/f-zf100701_final_report_fr.pdf

8 – http://www.lexpress.fr/actualite/societe/fait-divers/crash-d-avion-pour-en-finir-avec-l-erreur-humaine_1664391.html

9 – http://stopeprpenly.org/ et http://www.clin76.fr/ et http://www.nanodata.com/sdn76/

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