Dans l’édition imprimée de Trends – Tendances.
Les cours à l’université déconnectés de la réalité ?
Les étudiants réclament une autre approche de la science économique
Début mars, un reportage télévisé diffusé par la RTBF posait la question : l’enseignement de la « science » économique en Belgique a-t-il tiré les leçons de la crise ?
Dans ce reportage, on voyait et on entendait des étudiants se plaindre de la « déconnexion » de l’économie telle qu’elle est enseignée à l’université par rapport à la réalité économique que l’on observe quand on ouvre sa fenêtre chaque matin, une « science » économique incapable aussi bien d’annoncer la crise de 2008 que de dire ce qu’il faut faire une fois cette crise enclenchée, « science » également dépourvue de tout esprit critique, ayant largement abandonné le souci de la vérification empirique – comme le soulignent certains travaux universitaires (*), et ne présentant aux étudiants qu’une interprétation unique des différentes approches envisageables, « doctrinaire et dogmatique » comme le dit l’un d’entre eux, laquelle est malheureusement celle précisément qui a été le plus cruellement discréditée par les événements récents.
Ce reportage m’interpellait puisqu’on me reconnaît le mérite d’avoir non seulement annoncé la crise des subprimes mais d’avoir précisé dans mon livre ce qu’il faudrait faire ensuite. Bien entendu, d’autres personnes ont prédit comme moi cette crise majeure, mais de manière assez laconique, alors que le livre où j’annonçais la crise : Vers la crise du capitalisme américain ? (éditions La Découverte 2007), expliquant ses diverses causes et détaillant ses multiples conséquences, faisait lui 250 pages.
Dès 2009, je reçus l’assurance de personnes bien informées que l’on allait faire appel à mes services en France : « Vous allez voir : votre expertise est devenue incontournable ! » Et ces personnes d’influence eurent la gentillesse de mettre tout leur poids dans la balance pour qu’il en soit ainsi, mais sans résultat : rien ne se passa de la manière qu’ils avaient prévue. Pourquoi ? La raison en est très simple : je ne suis pas économiste de formation, mes diplômes universitaires sont en anthropologie et en sociologie.
Et c’est là qu’achoppe la protestation des étudiants exigeant qu’on leur parle de l’économie telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être : les professeurs qu’ils réclament à cor et à cris ne sont pas nécessairement économistes, bien pire encore : la plupart ne le sont précisément pas ! Oui, Daniel Kahneman a bien révolutionné la « science » économique en dynamitant l’idée que l’homo oeconomicus optimise rationnellement son comportement, il a même obtenu le prix Nobel d’économie en 2002 pour son « économie comportementale », mais il n’est pas économiste : son seul diplôme est celui de docteur en psychologie. Oui, j’enseigne personnellement la finance et l’économie critique que les étudiants en économie voudraient entendre, mais c’est une faculté de droit qui m’a proposé de le faire, à la VUB.
A quelques très rares exceptions près (les Michel Aglietta, Frédéric Lordon, Bruno Colmant, le regretté Bernard Maris, et quelques autres), la véritable science économique, est aujourd’hui produite ailleurs que dans les départements d’économie ou les écoles de commerce. Les étudiants en économie qui protestent pour qu’un meilleur enseignement leur soit prodigué n’obtiendront pas gain de cause parce que les professeurs qu’ils réclament ne seront jamais nommés. Que ceux-ci soient politologues, physiciens, sociologues, psychologues ou anthropologues, il leur manque les qualifications pour enseigner dans une faculté d’économie ou une école de commerce : le diplôme d’économiste leur fait défaut.
Dans les entretiens que nous avons accordés au journaliste Marc Lambrechts, Bruno Colmant et moi-même proposons de Penser l’économie autrement (éditions Fayard 2014). Les étudiants en économie veulent cela eux aussi. Il faut modifier les institutions pour leur en donner les moyens ! ž
(*) Donald MacKenzie, “An Engine, Not a Camera, How Financial Models Shape Markets”, The MIT Press 2006.
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